Macron. Et si l’exaltation de la jeunesse, parfois, était le contraire de ce que nous croyons ? Une supercherie. Un enfermement. Un contresens pour les fracassés de la crise qui confondent l’«ancien-âge» avec le «bel-âge», révéré l’an dernier par Régis Debray dans un essai tonitruant publié chez Flammarion. L’autre jour, alors que le ciel bleu-gris ombrait le drapeau tricolore d’une teinte de plomb devant l’entrée d’un ministère régalien, un conseiller ayant quitté Matignon pour Bercy s’épanchait, et en une seule phrase le bloc-noteur sentit le poids d’une désillusion aussi permissive que mortifère: «Ce Macron, il veut déjà remplacer Valls, alors qu’il n’a rien à voir avec notre histoire de gauche, avec nos mots, nos références, alors qu’il ne comprend rien au peuple, rien au mot “social” et encore moins au mot “socialisme”…» Et l’homme d’ajouter: «Seule la folie de sa jeunesse lui vaut ce sauf-conduit octroyé par Hollande, seule son immaturité politique lui permet de se placer sur le marchepied libéral sans se poser de question.» Diable! La jeunesse de Macron, né en 1977, bien après le choc pétrolier et la mort de Pompidou, ne serait déjà plus une qualité dans les arcanes du pouvoir, mais la forme plus ou moins avouée d’une précipitation pro-capitaliste irréfléchie et aveugle? La critique tient lieu de paradoxe.
Car tout de même, dans une société qu’on dit «bloquée» et «statufiée» dans ses «tabous», qui relègue ses jeunes en marge et les met massivement au chômage, c’est pourtant la jeunesse comme exemple et idéal qui s’impose en norme «moderne» et salvatrice. Avec son corollaire suprême: le présentisme, qui porte dans ses flancs, faute de bustes tutélaires inconnus de Youtube, la régression du peuple assumée et de la qualité en quantité, via la preuve par l’économie, le chiffre, la statistique, la mondialisation, etc. Macron incarne-t-il cette jeunesse de la société qui ne réfléchit plus face aux crises de notre temps? Il y a chez ce genre de personnage comme une «googlisation» technocrate de l’esprit. Ceux-là portent sans le savoir les stigmates d’une époque à double caractéristique: non seulement les Macron et consorts sont sûrs d’eux, de ce qu’ils pensent et font, mais aussi, connectés 24 heures sur 24, inondés de rapports en tout genre prêchant la bonne parole libérale estampillée «Cour des comptes» ou «Attali», tous protégés qu’ils sont du monde extérieur par des larbins prêts à tout pour les en éloigner, ils incarnent à cent pour cent ces hommes du XXIe siècle incapables de voir et encore moins de comprendre le «réel», de s’y attarder, de s’y concentrer. Appelons ça la «crise de l’attention», symptôme de ces élites formatées qui nous conduisent tout droit à la catastrophe. Le banquier contre le politique. Le calculateur contre le commissaire au Plan. Bref, voici les faux rebelles qui prétendent changer le monde, sauf que changer vraiment le monde implique toujours une affirmation, un engagement total, donc sincère. Résumons : le non-socialiste ne peut prétendre au socialisme, fût-il très rose.
Psy. Toutes ces belles âmes, à commencer par Macron lui-même, feraient bien de lire Est-ce ainsi que les hommes vivent? (éditions Fayard), de la psychanalyste Claude Halmos, formée par Lacan et Dolto, qui décrit dans un livre terrifiant les ravages psychologiques engendrés par les difficultés économiques et la paupérisation. Des millions de personnes en France. «Qui s’intéresse à ce phénomène?, demande-t-elle. Personne! C’est comme si tout le monde avait peur de dire cette réalité sociale, comme si elle était trop désespérante, trop honteuse. Il ne cesse pourtant de prendre de l’ampleur...» Ce cri d’alarme devrait être enseigné de toute urgence à Sciences-Po, à l’ENS, à l’ENA. Pour que les nouveaux jeunes (sic) aient de bonnes raisons d’exalter leur propre jeunesse.
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 31 octobre 2014.]
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