Libé. L’article, publié il y a dix jours dans Libération, nous avait d’abord échappé, mais, depuis, autant dire que sa lecture nous a laissé un goût d’amertume, à moins que ce ne soit déjà un signe d’écœurement avancé qui décidément ne passe pas. Luc Le Vaillant, l’une des « plumes » du quotidien, tient chronique hebdomadaire et, dans l’une de ses livraisons dont il a le secret, moitié provoquant, moitié réflexif, a choisi cette fois de tourner autour de la question du Front nationaliste de Fifille-la-voilà sans aucune précaution d’usage. Au prétexte qu’il convient de donner tort à ceux qui pensent que «le FN prospère uniquement sur les tourments identitaires français», sur «la peur du grand large continental» ou «sur l’angoisse du déclin occidental», l’auteur nous suggère cette question: «Et si le FN était plus à gauche que Hollande, plus social que le PS, plus anticapitaliste que le NPA?» Si la thèse le fait «hurler de colère», comme il l’écrit, le journaliste de Libé argumente néanmoins son propos de phrases définitives. Pour lui, «le FN de Jean-Marie» (sous-entendu le FN actuel n’a plus grand-chose à voir) «était ultralibéral, flingueur des fonctionnaires en surnombre, proche des intérêts des commerçants, artisans et petits patrons», alors que celui de «Marine vient au secours des catégories perdues par la gauche, celle des ouvriers minés par la précarité, celle des déclassés bientôt au RSA, celles des inquiets à la recherche d’un care archaïque».
Et il ose: «Le bleu Marine tamponne au Mercurochrome éventé, médecine estampillée PCF années soixante-dix, les fractures sociales qui se rouvrent à chaque spasme européen.» Fifille-la-voilà dénoncerait même tellement bien la globalisation et s’opposerait tant et tant aux logiques du libre-échange et du capitalisme sauvage, sans parler bien sûr des pertes de souveraineté économique, qu’elle incarnerait, aux yeux de beaucoup, cette défenseure «des services publics» ayant le souci «du bien commun» et la «prise en charge des affaiblis». Oui, vous avez bien lu...
Ultralibéral. Qu’on se rassure, Luc Le Vaillant dénonce, c’est bien le moins, ce qu’il appelle « les manœuvres attrape-tout » du Front nationaliste. Mais le propos – quoique mortifère – surfe sur la mode. La petite musique médiacratique, patiemment mise en place durant des mois, des années, a désormais valeur de pensée dominante chez tous ceux qui prétendent faire ou défaire les opinions. Ainsi le commentariat habituel des éditocrates de la haute pourrait nous conduire, si l’on n’y prêtait garde, à des aberrations théoriques. Par exemple, oublier que si l’extrême droite rivalise en effet de démagogie tous azimuts, appelant aux vieilles recettes des valeurs nationales et aux diatribes anti-immigrés mâtinées de discours « social » (une vision individualiste du monde social en vérité), c’est pour mieux masquer son projet ultralibéral conciliant avec les puissances financières et du capital, jouant ainsi les chiens de garde utiles des puissants, telle une figure accommodante de la grande bourgeoisie dont elle reste l’une des émanations primales. Répétons-le, capitalisme global et Front nationaliste font cause commune, sur le dos des plus faibles. L’autre exemple aberrant consisterait par ailleurs à négliger certaines idées authentiquement de gauche au nom d’un principe de précaution aussi absurde qu’insultant: puisqu’il convient de ne pas transformer le Front nationaliste en épicentre des préoccupations franco-françaises – nous sommes d’accord avec ce danger –, mieux vaudrait renoncer à la critique lucide et acharnée de la déréglementation financière internationale au motif que l’extrême droite en a fait l’un de ses thèmes de prédilection. Alors le piège suprême se refermerait : le rêve des libéraux de tout poil.
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 12 juin 2014.]
Grand merci à Ducoin pour cette réplique admirable.
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