Travailleurs. «Le renouvellement de ces attaques sauvages oblige le gouvernement à décider que, à l’avenir, les forces de l’ordre, lorsqu’elles seront ainsi assaillies, pourront se défendre après les sommations nécessaires.» Ainsi parle François Mitterrand. Nous sommes en 1948, la grande grève des mineurs du Nord-Pas-de-Calais vient de s’achever par une répression d’une rare violence, et les «forces de l’ordre» en question, au service du gouvernement socialiste de l’époque, ont répondu aux instructions du ministre de l’Intérieur, Jules Moch, sorte de Clémenceau aux petits pieds, donc plus dangereux encore que son triste prédécesseur. Les «attaques sauvages» évoquées par Mitterrand, alors secrétaire d’Etat à la présidence du Conseil, ne sont rien d’autres que des faits de grève, menés par les ouvriers des mines de France en rébellion contre les décrets signés par Robert Lacoste, ministre de l’Industrie, qui, d’un trait de plume, venait de leur supprimer les acquis sociaux obtenus à la Libération.
Ces travailleurs de la terre noire ne sont pourtant pas n’importe qui. Résistants pour la plupart, militants CGT et/ou communistes, ils avaient été les acteurs courageux d’une grève pour l’Histoire, en 1941, déjà à l’appel de la CGT et du PCF clandestin, pour «du savon et du pain», acte de résistance et d’espoir au cœur de la nuit noire. Ce sont ces mêmes hommes, ces mêmes familles, qui se battent pour les salaires et la dignité de leurs droits, que le gouvernement socialiste de 1948 traite comme des ennemis. La même année, la CGT a remporté haut la main les élections professionnelles et organisé, dans la foulée, un référendum auprès des mineurs: 89% votent pour la grève dans le Nord-Pas-de-Calais. Ils cessent le travail le 4 octobre, dans l’unité syndicale. L’action se durcit. Le gouvernement lance les CRS, la gendarmerie et l’armée. Bilan? Six morts, 2.000 arrestations, autant de condamnations à la prison et des centaines de vies brisées.
Gauche. L’histoire est bien connue des lecteurs de l’Humanité, hélas moins du «grand public», qui découvrira avec plaisir et stupéfaction, n’en doutons-pas, le très beau livre de la journaliste du Canard Enchaîné, Dominique Simonot, "Plus noir dans la nuit" (éditions Calmann-Lévy), récit circonstancié de ces événements, réalisé avec les témoignages directs des derniers héritiers vivants. Toute leur vie, ces «gueules noires» ont réclamé compensation et il leur a fallu attendre 2011 et un arrêt de la cour d’appel de Versailles pour que dix-sept d’entre eux, anciens employés des Charbonnages de France, perçoivent 30.000 euros d’indemnisation pour licenciements abusifs et discrimination. L’épisode judiciaire soldait l’une des plus longues batailles de l’histoire syndicale. Le grand mérite de l’enquête de Dominique Simonot, écrite comme un thriller syndical et politique, tient bien sûr à l’empathie – bien plus encore – qu’elle accorde à ses interlocuteurs, tant et tant que beaucoup s’enfonceront dans les méandres de cette pâte humaine comme dans un roman d’amour, sublimé par la réalité et les destins croisés des Georges, Norbert, René, Daniel, Henri, Simone, Lucienne, Colette et les autres. Ils étaient syndicalistes, communistes, ils ont été l’honneur de la France et la gauche, toute la gauche, leur doit aujourd’hui les honneurs. A ce propos. Elu président de la République, François Mitterrand n’a jamais fait le moindre geste de réconciliation à leur égard. Certains y verront, une fois encore, la face obscure de l’histoire des solfériniens vis-à-vis des luttes sociales. Nous y verrons surtout un devoir d’Histoire et un rappel à la vigilance.
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 9 mai 2014.]
Merci JED pour ce beau récit, qui nous rappelle le tragique des socialistes. La mémoire ça compte.
RépondreSupprimerTa chronique est toujours un bonheur de lecture, car on ne sait jamais où tu vas nous embarquer et c'est toujours surprenant. Ton bloc de ce matin dans l'huma sur le film avec Clavier est une merveille de point de vue ! Bravo.
CAMILLE