Phares et balises semblent parfois manquer si cruellement au citoyen moderne parcourant la société en solitaire qu’il finit par ne plus voir ce qu’il a sous les yeux, ou alors sans références ni repères, comme une faute irrémissible. Le citoyen en question devrait néanmoins se poser une question simple: comment doit-on nommer un moment de l’histoire d’un pays où le sort des femmes, après avoir lentement mais réellement progressé durant des décennies, subit une forte stagnation pour ne pas dire plus? La réponse s’impose: nous vivons un moment de régression, d’involution même, et devoir écrire ces mots donne autant le vertige qu’un goût de révolte.
Une statistique, qui n’est toutefois que la partie visible de l’iceberg, continue de nous hanter. Au travail, les femmes sont toujours victimes d’un «plafond de verre», pour reprendre la novlangue habituelle, et gagnent en moyenne 25% de moins que les hommes. «De quoi souffres-tu?» demandait René Char, avant d’assigner le monde: «De l’irréel intact dans le réel dévasté.»
Et ce qui dévaste tout depuis quelques années porte un nom, l’austérité. Un poison qui mine tout le corps social et dont les femmes sont les principales victimes. Chômage, précarité à l’embauche, multiplication des formes «atypiques» d’emploi, pauvreté, inégalités salariales, etc. Selon un rapport du Conseil économique, social et environnemental (Cese), «l’essentiel de la hausse de l’emploi des femmes» durant les trente dernières années «est dû à celle de l’emploi à temps partiel». Les chiffres expriment la vraie vie et les difficultés qui en découlent: plus de 30% des femmes salariées travaillent à temps partiel, seuls 6 % des hommes sont dans cette situation. Entre 1980 et 2010, la part des femmes qui travaillent à temps partiel a doublé, passant de 15% à plus de 30%!
Les politiques d’austérité généralisée, qui, dans toute l’Europe, consistent à atomiser les « conquis » sociaux, les services publics et les systèmes de protection sociale de la santé ou de la petite enfance, ne visent qu’au morcellement du marché du travail, adaptable à l’économie libérale, jusqu’à transformer l’emploi et les salaires en variable d’ajustement. Le but? Une main-d’œuvre corvéable et soumise. Peu importe s’il s’agit de femmes, déjà frappées de toutes les inégalités. Car au foyer ce n’est pas mieux! Malgré l’arrivée massive des femmes au travail à partir des années 1960, synonyme d’émancipation, le partage des tâches domestiques, assumées à 80% par les femmes, reste totalement inégalitaire au sein du couple. Messieurs, lisez ceci: une femme vivant en couple et mère d’un ou plusieurs enfants réalise trente-quatre heures de travail domestique hebdomadaire, soit l’équivalent d’un temps de travail rémunéré moyen d’un homme… Enlevez donc les femmes de la vie sociale, des quartiers populaires par exemple, là où se trouve le cœur vivant de la société française, et vous assisterez à la fin immédiate d’une certaine idée de l’humanité et de la solidarité au jour le jour.
Quand les lois du marché et de l’exploitation ordinaire succèdent à celles de l’histoire, les fonds de pension au commissariat au Plan, et que triomphent compétitivité, concurrence, rentabilité et profit, rajouter l’«égalité», même pour les femmes, tient encore de la provocation. Un sondage récent nous informe qu’un Français sur quatre pense qu’il faut «privilégier l’emploi masculin en temps de crise». Pas de doute, la révolution reste à faire.
[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 5 mars 2014.]
Juste : merci.
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