Victime de l’étirement du temps, le nom d’Albert Bourlon n’était plus familier du grand public, sans doute même des lecteurs de l’Humanité. Et pourtant. En apprenant le décès du Berrichon, en fin de semaine dernière, le mot «légende» a immédiatement arraisonné notre esprit, comme l’évidence d’avoir entretenu avec lui, par-delà le XXe siècle, une sorte de camaraderie si fraternelle qu’elle aurait pu s’apparenter à une paternité cycliste totalement assumée. Et à plus d’un titre. Mort à 96 ans, doyen des cyclistes ayant participé à la Grande Boucle, Albert Bourlon avait retroussé la légende sportive dans le Tour 1947, un 11 juillet, entre Carcassonne et Luchon, après une victoire d’étape et un exploit en solitaire qui restera à jamais écrit en lettres d’or dans le grand livre des Illustres. Avec son maillot de l’équipe du Centre-Ouest sur le dos, ce natif de Sancergues, dans le Cher, avait profité d’une prime proche du départ de l’étape pour filer sans sommation et franchir la ligne d’arrivée, 253 kilomètres plus loin, seul au monde. Personne n’a fait mieux depuis. Au terme de sa fugue, Albert avait lancé aux commissaires de l’épreuve: «Vous m’avez vu cette fois?» Deux jours plus tôt, il avait été oublié dans le classement de l’étape et il avait dû porter réclamation. Cette fois, il avait même eu le temps de se doucher avant d’accueillir le peloton en héros (1). La poésie cycliste navigue décidément sur nos arrières, quelque part entre la mémoire et l’épaisseur du passé…
En 1947, sa performance n’était alors qu’anecdote, totalement éclipsée par la victoire finale du Breton Jean Robic, qui rehaussa le sentiment national après les années de feu. Personne ne se souviendra qu’Albert avait alors terminé le Tour à la 21e place au général et qu’il s’était déjà classé 35e en 1938, avant que la Seconde Guerre mondiale ne l’expédie loin en Europe de l’Est… Le lendemain de l’étape Carcassonne-Luchon, l’Equipe écrivit: «Bourlon a un coeur comme peu de coureurs en ont un. Ce menu cœur qui l'aida à s'évader des stalags allemands et après deux ans de captivité et trois d'expatriation l'aida à redevenir un très bon routier qui a peut-être le tort de trop le confiner dans les courses régionales.» Après la débâcle de 1940, Bourlon fut en effet retenu dans plusieurs Stalag. Il lui fallut trois tentatives d’évasion pour parvenir à rejoindre l’Ukraine, la Slovaquie, la Hongrie puis la Roumanie. Le 2 novembre 1943, en franchissant à la nage la Tisza, un affluent du Danube à moitié gelé, il arriva enfin à Bucarest où il resta jusqu’en 1944. A son retour en France, il fut engagé par Mercier, puis Rochet. Il remporta Paris-Bourges, le circuit de la Vienne, deux étapes du Tour de l'Ouest. Mais il n’eut jamais les honneurs de l’équipe de France. «J’ai toujours été communiste et membre du Parti, ça ne plaisait pas», affirmait-il.
Malgré sa croix de guerre, le coureur se considéra comme un banni, écarté de la sélection parce que «rouge» (2). Dans sa jeunesse, dès 1936, il avait soutenu le Front Populaire et appelé à la grève ses camarades des usines Renault. Après guerre, l’évadé et futur échappé du Tour possédait toujours sa carte du Parti. Albert fut le compagnon de route de René Vietto, ancien groom de l’hôtel Majestic, lui aussi communiste et figure mythique du cyclisme. Il côtoya Apo Lazaridès, président d’honneur d’un cercle de l’URJF, les Jeunesses communistes. Et il pleura Charles Berty, coéquipier de Vietto et résistant de la première heure, massacré à coups de crosse le 18 avril 1944, à Mauthausen.
Par volonté ou négligence, Albert Bourlon fut maintenu
toute sa vie en marge de l’histoire officielle et des commémorations en tout
genre, son nom n’étant ramené qu’à un exploit kilométrique. Que ceux qui
l’ont connu, ses amis, ses proches, sa famille, trouvent ici l’expression
d’une infinie reconnaissance, forcément imparfaite quand il s’agit de relater
des fragments de mythologie usinés par un enfant du peuple. Il y a quelques
années à peine, des témoins rapportaient que l’écriture d’Albert était «restée impeccable» et ils
n’oubliaient pas de préciser que, jeune, il avait «décroché son certif’ en terminant premier du canton».
Il se souvenait que, sur le vélo, il carburait «avec deux bidons de thé et trois fioles d’eau sucrée avec du
rhum». A Bourges, il se disait «fier»
d’habiter rue Jean-Jaurès, «ce
grand homme». La piste du vélodrome de la ville portera désormais
son nom.
(1) Anecdote racontée
par Pierre Carrey, dans "100 ans de Pyrénees, légendes du Tour de
France", éditions Grimal.
(2) Interrogé par
l’Humanité en 1997, l’ex-patron du Tour, Jacques Goddet, avait démenti formellement qu’Albert
Bourlon fut écarté pour «des raisons politiques».
|
[ARTICLE publié dans l'Humanité du 21 octobre 2013.]
Heureusement que Ducoin est là pour la mémoire du vélo. JED, pourquoi n'écris-tu pas sur la présentation du Tour? parce que franchement l'article de ce matin dans l'huma, c'est le grand n'importe quoi.
RépondreSupprimerJF
je suis un ex-nadadeure et je tien de poumons ,mesme si je fume ,mais je avaidu folége.daniel kiefer oliveira lage sousa fantinatti
RépondreSupprimer