Dans la vie politique des grandes démocraties républicaines supposées, il est des moments où les pulsions devraient s’effacer devant la raison ; non pas la raison d’État (encore que) mais bien la raison de l’esprit qui commande de regarder très au-dessus des racolages à la petite semaine. Alors qu’il avance en terrain miné depuis le vote du Parlement britannique et la décision de Barack Obama d’attendre la consultation du Congrès américain, François Hollande a-t-il pris conscience qu’on ne plaisantait pas avec la guerre, quelle qu’elle soit? Il n’y a pas de hasard. En moins de vingt-quatre heures, nous avons pu observer deux signes évidents de fébrilité du côté de l’Élysée.
Primo: le chef de l’État, accessoirement chef des armées, a décidé d’envoyer Jean-Marc Ayrault en première ligne, lundi soir, pour détailler aux responsables de la représentation nationale les «éléments de preuves» qui accusent, selon le gouvernement français, Bachar Al Assad dans l’attaque au gaz du 21 août dernier à Damas. Secundo: un vote du Parlement pour autoriser une éventuelle intervention militaire en Syrie ne serait finalement «pas un sujet tabou pour François Hollande», mais un peu plus tard, si l’on en croit le ministre des Relations avec le Parlement, Alain Vidalies. Ce qu’il faut bien considérer comme un changement de pied marque-t-il un aveu de faiblesse du chef de l’État? N’est-il dicté que par les circonstance?
Ces questions seront, elles aussi, au cœur du grand rendez-vous parlementaire qui se déroulera aujourd’hui. Le premier ministre, Jean-Marc Ayrault, qui s’exprimera à 16 heures à l’Assemblée nationale, en même temps que le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, au Sénat, ouvrira donc un débat qu’aucun scrutin ne conclura, hélas! Beaucoup affirment que François Hollande se doit de combler un déficit d’explication sur ses motivations et qu’un discours de la méthode suffirait à expliquer la complexité du dossier syrien qui, pourtant, ne se résume pas au choc entre un dictateur sanguinaire d’un côté et une opposition démocratique de l’autre. Seulement voilà, c’est également un déficit démocratique qui nous saute aux yeux! Car cette fois l’argument de l’urgence militaire ne tient pas la route, puisque chacun sait que la France n’interviendra pas sans les États-Unis. Or, la décision d’Obama de consulter le Congrès laisse le temps au président français d’organiser un second débat au Parlement – après celui d’aujourd’hui – qui se conclurait cette fois par un scrutin en bonne et due forme. L’étape du vote parlementaire, de bon sens, devrait être un préalable, même si elle ne dissiperait pas forcément le malaise perceptible dans l’opinion publique, lassée d’assister à un éternel recommencement, Golfe, Irak, Afghanistan, Libye, Syrie…
Dix ans après son refus d’offrir à George Bush le feu vert de l’ONU pour mener sa guerre contre l’Irak, la France doit retrouver sa voix singulière. Restera-t-elle le seul pays européen dont le gouvernement prône sans vraiment d’hésitation une action armée contre un pays sans mandat des Nations unies ni même résolution du Conseil de sécurité, ce qui, il faut bien le dire, ruinerait toute possibilité de nouveau recours diplomatique du type Genève 2 ? Dans la Ve République du monarque élu, le défi démocratique n’est pas mince. Sauf à avoir la mémoire courte. En 2003, lorsque se posa le principe d’une intervention de la France en Irak, François Hollande réclamait une consultation préalable du Parlement. Et si le président actuel n’était pas à la hauteur du premier secrétaire du PS de l’époque?
[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 4 septembre 2013.]
Article sérieux, dont la conclusion est terrible pour Hollande !
RépondreSupprimerBien vu.