John Kerry et Laurent Fabius, à Paris. |
La plupart des commentateurs relaient depuis l’idée d’un triomphe français et américain ; l’Europe parlerait d’une seule voix pour agir en Syrie ; Angela Merkel elle-même aurait fini par adhérer à cette idée… Attention à la supercherie, car la réalité mérite d’être nuancée.
D’abord, il y aurait de quoi s’étonner de la présence à cette réunion du secrétaire d’État américain John Kerry, assis à la table des Vingt-Huit comme si de rien n’était, venu prêter main-forte à Laurent Fabius et défendre le principe d’une intervention armée hors mandat des Nations unies. Ensuite, rappelons que si l’honnêteté était encore une valeur partagée, chacun devrait reconnaître que la formule «réponse forte» mise en avant par l’UE reste assez vague pour satisfaire à la fois les dirigeants français et ceux qui sont opposés à un engagement sans l’aval de l’ONU. D’où cette question: les satisfactions affichées par Kerry et Fabius sont-elles plus médiatiques que politiques? «Nous ne parlons pas de guerre», explique John Kerry à qui veut l’entendre. Pourtant, si l’on en croit le Los Angeles Times d’hier, le Pentagone préparerait des frappes sur la Syrie «bien plus longues et plus intenses que prévu».
Comment croire qu’une aventure guerrière sous commandement états-unien pourrait résoudre quoi que ce soit, au risque plutôt de déclencher un embrasement régional auquel nul n’a intérêt? Depuis dix ans, toutes les «stratégies» militaires des artisans d’une lecture du monde en termes de choc des civilisations se sont révélées désastreuses. Qu’ils le veuillent ou non – et ce n’est pas la moindre de nos critiques –, Barack Obama et François Hollande se glissent dans les pas de leurs prédécesseurs, Bush «le faucon» et Sarkozy «l’Américain». En passant outre une résolution de l’ONU et en fondant le droit international sur la force et les capacités militaires de ceux qui peuvent les engager, ils laissent même planer le doute sur la sincérité de leurs arguments et discréditent définitivement leur volonté jadis affichée de «nouvelle relation» au monde…
Alors, qu’on nous permette un trait d’amertume. Cette semaine, vous n’entendrez parler que de «l’intervention militaire occidentale en Syrie». On ne s’y prendrait pas autrement pour faire oublier que 81% des Français sont «inquiets» pour leurs retraites, selon notre sondage CSA, et qu’une journée d’action contre la réforme du gouvernement Ayrault, mardi, se déroulera partout en France. Pour le dire autrement: comment accepter que nos dirigeants continuent d’être servilement inféodés à l’Otan et à Washington, au point de négliger certaines priorités?
[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 9 septembre 2013.]
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