mercredi 25 septembre 2013

Coût du capital: brisons le tabou !

N’écoutez plus ceux qui ne parlent que de «coût du travail» en oubliant le coût prohibitif du capital!
Au fond, c’est toujours un peu la même histoire. Dès que nous voulons parler du «Capital» non comme un traité d’économie politique sacralisé par une caste d’intouchables, mais bien comme une critique virulente de «l’économie politique» telle qu’elle nous est imposée, nous sommes sommairement renvoyés à Marx – ce qui nous convient bien, reconnaissons-le –, comme s’il s’agissait au mieux d’un débat d’arrière-garde, au pire d’une trahison envers la modernité «libre» et «non faussée»… Nous connaissons par cœur la récitation du mantra néo-social-libéral. La France va mal? C’est «à cause du coût du travail trop élevé» et du manque de «compétitivité», ânonnent les serviteurs de la galaxie médiacratique, tous d’accord sur l’essentiel. Rien à discuter, rien à voir! Ces braves gens vont quand même devoir déchanter: nous ne lâcherons pas le morceau, l’affaire est trop sérieuse. Quand brisera-t-on le tabou du coût du capital?
Les orientations budgétaires présentées aujourd’hui par le gouvernement s’inscrivent dans la logique des politiques d’austérité mises en place depuis des années. Le logiciel idéologique et la sémantique ne varient pas. Les chiffres sont pourtant têtus. Les récentes études démontrent en effet que le «coût» global horaire français est voisin de celui de l’Allemagne et très proche de celui des États-Unis, contredisant tous les discours lénifiants qui ne visent qu’à justifier les «réformes» de réductions des salaires et des prestations sociales. Le pilonnage idéologique ne baisse pas d’intensité. On nous affirme qu’il faut engager la France dans une stratégie de «renforcement de sa compétitivité», quantitative et qualitative, avec «moins de prélèvements fiscaux et sociaux». N’écoutez plus ceux qui ne parlent que de«coût du travail» en oubliant le coût prohibitif du capital! Répondez clairement: ce qui pénalise tous ceux qui souhaitent investir et créer de l’emploi, c’est le coût du capital, qui n’a cessé de progresser depuis trente ans. Des preuves? D’après les comptes de la nation établis en 2010 par l’Insee, les sociétés non financières (autres que banques et assurances) ont dépensé 145 milliards d’euros en cotisations sociales et patronales, contre 309 milliards d’euros en intérêts et en dividendes. En 2011, les cadeaux  aux actionnaires ont occasionné un surcoût du capital entre 50% et 70%! Faut-il préciser que ce coût financier du capital ne correspond à aucun service économique rendu, ni aux entreprises (les investissements) ni à la société tout entière? Comment cacher cette folie furieuse qui consiste à ne pas laisser vie aux actions individuelles ou collectives qui ne «rapportent» pas entre 15% et 30% l’an?

Au train où vont les choses, on nous dira bientôt que le seul «coût» du travail acceptable est celui du travailleur du Bangladesh ou d’Éthiopie. D’ailleurs les Chinois eux-mêmes délocalisent en Afrique de l’Est… Puisqu’on nous rabâche que le «coût du travail» est le seul verrou à toute politique sociale, faisons la démonstration que la question du coût du capital est la seule qui ouvre des marges de manœuvres financières et contraint à changer de paradigme. Les interrogations ne manquent pas. À quoi servent les milliards d’argent public déversés sans contrôle en crédits d’impôt et autres allégements de cotisations sociales – environ 220 milliards d’euros! –, si ce n’est à nourrir cet appétit sans fond des actionnaires? Et pourquoi les dividendes, qui pesaient 5% de la valeur ajoutée il y a trente ans, pèsent désormais près de 23%, alors que, dans le même temps, la part réservée au travail n’a cessé de diminuer? La France mérite une opération vérité. Pour que les idées alternatives s’expriment. Pour repousser chaque jour un peu plus la résignation ambiante.

[EDITORIAL publié dans l'Humanité 25 septembre 2013.]

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