Ego. «L’une des caractéristiques des hautes sphères du PS, c’est qu’elles ne lisent pas de livres.» En découvrant cette phrase du géographe et historien Emmanuel Todd, cité dans le Monde du 2 mai, l’un des proches collaborateurs de Normal Ier a haussé les épaules en s’exclamant: «Le culte de la critique gratuite est la nouvelle religion dominante.» Puis l’ancien énarque et conseiller d’État a feuilleté le journal du soir avant de le chiffonner comme un prospectus. Un verre de bière et beaucoup de désolation dans le propos. «Si ça continue, nous reposerons bientôt tous dans le musée planétaire où nulle compréhension ne sera possible. Jadis, le sage, le prêtre, l’artiste, l’honnête homme, l’élu, le serviteur de l’État, le savant, le chercheur et même le révolutionnaire étaient des modèles qui sublimaient l’universelle voracité des ego. Notre modèle n’est ni le golden boy ni le pitre télévisuel. Nous ne sommes pas des fauves, tout de même!» L’énervement ne s’atténuera pas. En juin dernier, le même homme nous confiait: «Cette fois, la gauche ne peut pas décevoir, elle n’a pas le droit. Nous aurons des marges de manœuvre, c’est une obligation. Quand elle arrive au pouvoir, la gauche doit agir vite.»
Divorce. «Vite», disait-il à l’époque? Mais de quelle gauche parle-t-il donc, ici et maintenant? Un an tout juste après l’élection de Normal Ier, notre conseiller, en toute fraternité (les amitiés de longue date ne justifient pas tout) tente de faire bonne figure.
Nous lui glissons: «Malraux disait que la gauche n’est rien si elle n’est pas une grande voix.» Lui réplique: «Il ne suffit pas de parler fort pour résoudre les problèmes.» Nous poursuivons en lui évoquant les nombreux «renoncements» sinon les «trahisons», évoquant la conversion au grand jour au «social-libéralisme». Lui veut expliquer: «Nous ne sommes pas seuls en Europe, c’est un mouvement qui sera long pour que nous imposions notre vision favorable à la croissance, pour l’instant, on fait ce qu’on peut.» Nous ne lâchons pas le morceau. Pourquoi s’obstiner, remarque-t-on, à favoriser la finance plutôt que ceux qui ont voté pour la gauche le 6 mai 2012? Pourquoi assumer à ce point la coupure avec le noyau dur de son propre électorat, qui a donné une majorité? Pourquoi en rabattre sur l’ennemi désigné au Bourget, le pouvoir de l’argent? Comment expliquer Florange, Mittal, PSA, la «révolte» (sic) des pigeons et tant d’autres exemples? Comment justifier les discours en douceur envers le patronat? Pourquoi soutenir que les politiques économiques et sociales conduites ne sont pas austéritaires, quand tout démontre le contraire? Et pourquoi vouloir faire croire que le discours est identique alors que le vocabulaire et les actes ont radicalement changé? S’agit-il d’un flagrant déni? L’homme reste calme. «Nous manquons sûrement de souffle et d’explications de texte», répond-il sommairement, comme gêné. Alors nous insistons, plus franchement cette fois, citant Thomas Piketty, que nous pouvons difficilement taxer d’anti-socialisme primaire: «On a devant nous le sommet de la technocratie socialiste au pouvoir, très confiante dans ses compétences. Je n’ai pas de doute sur le fait qu’ils ont fait de très bonnes dissertations à vingt ans, mais je ne suis pas certain que cela suffise pour entrer dans le XXIe siècle.» Acculé, notre conseiller épouse alors les théories de Pierre Moscovici en suggérant une «révolution copernicienne» qui consiste à «agir sur le réel au nom des valeurs de solidarité et de justice», ce qu’il appelle «l’efficacité économique» sans laquelle, «faute de moyens, celle-ci reste inopérante». Il n’en variera plus d’un iota. Fin de soirée. Divorce consommé?
Classes. Fascinante analyse de la parole présidentielle réalisée par Canal Plus. Elle démontre que sur 190 discours en un an, Normal Ier a prononcé 3820 fois le mot «France» ou «Français», 2387 fois le mot «Europe» ou «Européens», 876 fois le mot «croissance», 817 fois le mot «entreprises», 294 fois le mot «compétitivité», 290 fois le mot «solidarité», 200 fois le mot «salariés»… Triste anniversaire, n’est-ce pas. Car le «changement qui est maintenant» nous apparaît d’autant plus réel qu’il ne concerne pas un changement d’orientation de la politique publique – identique ou presque à celle des dernières années – mais un changement idéologique plus terrifiant: et si le socialisme de gouvernement avait entériné un changement d’alliance de classes au profit du libéralisme, donc du capital, fruit d’une trajectoire de long terme qui l’aura vu se déporter irréversiblement? La vérité heurte: tant pis. Reste une question : ce basculement historique, inauguré par la visite d’un premier ministre à l’université d’été du Medef et parachevé avec l’accord national interprofessionnel (ANI), est-il irréversible? N’attendons pas les livres d’histoire pour le savoir. Agissons avant...
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 3 mai 2013.]
« La roue tourne », mais elle semble tourner un peu carré non ? Carré comme ce pré carré réservé à quelques élites proches de M’sieur Normal first qui flirtent de très prés avec les valets du capitalisme !
RépondreSupprimerIl est bon de voir écrit enfin quelque part que la politique menée est une politique Sociale Libérale ! Car ce n’est hélas pas évident pour tout le monde, y compris parfois même dans des sphères pourtant bien à gauche où l’on s’acharne encore à parler de Sociale Démocratie*, alors même que le peuple qui une fois consulté est tout simplement ignoré dans ses attentes, quand il n’est pas brocardé par les médias et autres édiles lorsqu’il (le peuple) tente de s’exprimer. Ce fut le cas pour le rassemblement du 5 mai qui dérangea bien du monde et dont on essaya de minimiser la portée, ou bien encore dans la brillante prestation de Mélenchon sur l’A2 que l’on essaya de porter en dérision.
Il faut agir c’est un fait mais pour cela il faut aussi que le peuple s’éduque à la lecture de la politique et ne se contente pas d’ingurgiter les infos télévisuelles prédigérées et dirigistes qui conduisent à la conclusion hâtive et succincte du « tous pourris » Combien de jeunes prennent la peine et le temps d’aller chercher une information qui ne va pas de soi dans les médias traditionnels ? Combien de travailleurs prennent seulement la peine de lire les tracts et les écrits syndicaux de leur entreprise pour avoir une autre vision du monde qui les gouverne ?
Là est la vraie problématique des travailleurs des salariés des retraités des demandeurs d’empois c’est leur manque total d’une analyse politique que l’on ne trouve nulle part ailleurs que dans les pages des journaux comme l’Huma.
[*Démocratie : Système politique, forme de gouvernement dans lequel la souveraineté émane du
peuple (Larousse)]
Bien d'accord avec le dernier internaute: heureusement qu'il y a des journalistes comme DUCOIN pour nous raconter les coulisses du pouvoir - mais pas du côté des puissants !
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