Tour. Dépressifs chroniques ou fragiles crépusculaires de la première heure, beaucoup d’écrivains souffrent le martyre devant leur page blanche – mais, comme Antoine Blondin, la plupart d’entre eux ne savent rien faire d’autre. Tant mieux. Pour le bonheur du cyclisme, les Lettres ont souvent croisé les routes de la Grande Boucle, voisinant avec les sommets du genre. À quelques semaines de la centième édition du rendez-vous de Juillet, où l’on honorera une fois encore le grand héritage de la salle des Illustres, le journaliste et écrivain Benoît Heimermann nous propose, aux éditions Flammarion, une sélection de textes intitulés Ils ont écrit le Tour de France, une étonnante anthologie d’un peloton de soixante-quatre écrivains qui balaie tous les âges de la plus grande course cycliste. Ne nous étonnons pas: dans cette sélection ne figure qu’un seul texte de Blondin. Benoît Heimermann assume le parti pris: «L’intention présente n’est pas tant de minimiser l’importance de Blondin, et encore moins son talent, que de veiller à ce que sa boulimie de jeux de mots, de jeux de rôles, tous ces “cols buissonniers’’, ces “saucées des géants’’, ces “faces cachées de la lutte’’ ne phagocytent le reste des interventions.» Les recueils des chroniques de l’Antoine ne manquant pas, découvrir d’autres écrits était donc utile.
Huma. Des origines de «cette particularité sans prix» qu’est le lien entre les écrivains et le Tour, jusqu’à l’époque moderne, nous parcourons ainsi des articles de presse et des extraits de livres. Principale confirmation: le Tour impose bel et bien «sa propre grammaire, son propre vocabulaire», comme l’explique dans son introduction Benoît Heimermann: «Une euphonie à nulle autre pareille où les aigus des extraordinaires et les graves de cataclysmes se bousculeront au gré de reportages forcément plus proches du roman de cape et d’épée que du compte rendu d’audience.» Entre le «mythe total» défini par Roland Barthes et les «leçons d’énergie» admises par Louis Aragon, nous avons confirmation – heureux que nous sommes! – que le sujet se prête définitivement à ce que Blondin appelait judicieusement des «boursouflures du style», louées dans la caravane du Tour, honnies ailleurs.
En témoigne l’admirable «Attila et sa monture» de Jean-Pierre Chabrol, publié dans l’Humanité en juillet 1951, et placé en deuxième position du livre. Les premiers mots: «Les mômes ont le rêve des vitesses extraordinaires et des montures folles.» Et puis: «Le coureur cycliste appartient à ce monde des héroïsmes pour illustrés enfantins.» Et encore: «On raconte que le grand chef des envahisseurs barbares, les Huns, Attila, vivait à cheval, mangeait, buvait et dormait en selle, et que, là où il galopait, l’herbe ne repoussait plus. Môme, regarde le coureur, le matin, au départ : il soulève un peu son vélo par le guidon, et par la selle le fait rebondir d’une roue sur l’autre, légèrement, en prêtant l’oreille comme pour écouter la réaction d’un animal. (…) Et la façon qu’ils ont tous de palper leurs sièges de cuir ressemble à une caresse sur la croupe.» Et enfin: «Là-bas, au bord de la route, les spectateurs quittent la bordure des champs, où l’herbe piétinée mettra longtemps à redresser la tête. Comme quand Attila était passé, souviens-toi, môme…»
Une salle de presse du Tour de France. |
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 17 mai 2013.]
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