vendredi 13 juillet 2012

Tour : la chanson de Rolland s'empare des Alpes

Le Français Pierre Rolland, leader des Europcar, confirme son exceptionnel talent en l’emportant en solitaire dans la montée de La Toussuire, jeudi 12 juillet. Bradley Wiggins est toujours en jaune. Cadel Evans a perdu du temps.
Pierre Rolland exulte.
Depuis La Toussuire (Savoie).
Pour tout cycliste qui prétend à l’inopportun sacralisé, l’expérience de la haute montagne procède de l’étrangeté, d’un exil qui serait non pas cheminement sans but mais une forme de savoir-être en course qui voisinerait avec les pulsions les plus extrêmes. Demandez au Français Pierre Rolland (Europcar). En franchissant la ligne d’arrivée, à La Toussuire, seul à la découverte d’un nouveau-monde, tout chez lui se singularisait. La respiration, les césures, la blancheur de l’effort, une certaine pureté de pédalée, sans parler de cette prolifération de puissance réglée par la partition de chair à vif et d’entrailles : un talent brut de brut perché sur un plateau d’alpages. Vivement l’à-venir!

De cette étape courte (148 km) aux accents légendaires, par les cols de la Madeleine (H. cat, 2000 m), de la Croix de Fer (H. cat, 2067 m), du Mollard (2e cat) et de la montée vers La Toussuire (1re cat, 1705 m), le chronicoeur attendait plus d’audace que de grâce, disons un art de grimper qui réveille les éclats et force sinon la décision, du moins le respect.
Tout commença dans le col de la Madeleine, lorsqu’un groupe d’une vingtaine de coureurs se portèrent à l’avant, parmi lesquels Basso, Valverde, Leipheimer, Velits, Sorensen, Kiserlovski, et surtout Pierre Rolland et Christophe Kern, deux des Français les plus en forme de l’équipe Europcar. Sous nos yeux admiratifs, Kern se sacrifia aux extrêmes pour son leader: l’acte cycliste atteignit à l’essence même du tragique affiché, dans la force et les nerfs du sportif qui s’y consacre. Rolland pourrait-il rééditer l’exploit de Thomas Voekler, la veille?

Depuis Saint-Etienne-de-Cuines, où certains criaient «allez les Verts!», le terrible col de la Croix-de-Fer empruntait le versant nord du Glandon, soit 22,4 km d’ascension. L’un des géants du Tour, qui, lui aussi, aurait mérité de ne pas être escamoté par la toute puissance supposée des Sky de Bradley Wiggins. Aussi, lorsque la grimpette finale vers La Toussuire débuta, ce fut brièvement une troupe de favoris au complet qui se présenta sur les hauteurs de la Maurienne. A l’avant, notre Pierre Rolland, retrouvé et ragaillardi malgré une nouvelle chute, mystifia ses derniers compagnons d’échappée, Sorensen, Velits et Kiserlovski. Après sa victoire d’étape l’an dernier à l’Alpe d’Huez, le protégé de Jean-René Bernaudeau récidiva dans une arrivée au sommet. Un mot: magistral. Et la chanson de Rolland s’empara des Alpes!
Cadel Evans en souffrance.
A l’arrière, Wiggins continua ses moulinets de grand échalas, bien à l’abri de ses équipiers Froome et Porte. Et les autres? Vincenzo Nibali secoua l’équipe Sky, dans les derniers kilomètres, pour pas grand-chose. Et puis, dans l’allégresse de l’action, nous vîmes même Christopher Froome larguer son leader un bref instant, avant de se faire rappeler à l’ordre… Ce ne fut pas le cas de Cadel Evans (BMC), qui, pas mal de lacets plus bas, avait déjà lâché prise. Grand perdant du jour, le tenant du titre concéda une minute trente aux autres favoris.

Et à part ça? Quelques nouvelles d’un autre front, niché, celui-là, bien moins haut dans l’échelle de l’évolution des cyclistes. Depuis Marseille, nous avons appris, hier, que Rémy Di Grégorio (Cofidis), présenté à une magistrate, devait être mis en examen pour «détention d'un procédé interdit sans justification médicale», un kit d'injection découvert en sa possession. Celui-ci clame son innocence et nie toute pratique dopante, mais admet – la bonne blague – avoir reçu des injections. Le procureur parle de «pratiques médicales ou paramédicales prohibées, pas de produit dopant, mais des méthodes dopantes». Les suiveurs se creusent les méninges. L’année prochaine, option «médecine» obligatoire!

Ils devront aussi repasser par l’Amerloque première langue. Car l’ami Lance Armstrong, que l’Agence antidopage de son pays (Usada) traque comme un vulgaire bandit, a finalement obtenu un délai d'un mois pour décider s'il accepte les sanctions ou sollicite un arbitrage. Le septuple vainqueur se voit accuser par l'Usada d'avoir eu recours au dopage entre 1996 et 2011 et encourt des châtiments pouvant aller jusqu'à la perte de ses titres. Le président de l'Usada, Travis Tygart, évoque un «complot de dopage sophistiqué et de grande envergure» et «d’un système de dopage organisé au niveau de l’équipe US Postal» (1). Si Armstrong venait à renoncer à contester les accusations portées contre lui, il serait, comme les autres, officiellement déclaré «coupable»… Hier, seuls les organisateurs du Tour étaient contents: la prochaine étape de ce feuilleton judiciaire ne se déroulera qu’au mois d’août. Un conseil quand même, qu’ils se munissent d’une grosse gomme car bientôt, avec l’énergie requise, ils devront effacer les palmarès d’une décennie d’exploits, au moins. L’inopportun frappe n’importe où.
(1) Il évoque «de l'EPO, de la testostérone, des corticostéroïdes, de l'hormone de croissance et autres substances dopantes»…

[ARTICLE publié dans l'Humanité du vendredi 13 juillet 2012.]

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