mardi 3 juillet 2012

Cavendish et Merckx nous font Tournai en bourrique

Lors de l’ultime escapade belge, lundi 2 juillet, Mark Cavendish remporte au sprint sa 21e victoire d’étape. Hors course, la polémique entre Guimard et Merckx a pris de l’ampleur. Hier, le Cannibale a insulté l’ancien directeur sportif, auteur d’un livre qui lui a fortement déplu…

Depuis Tournai (Belgique).
Le suiveur ne l’ignore pas mais s’en émoustille encore : les ambiances de kermesse ont toujours quelque-chose de surréel. Entre gouailleries populaires et anecdotes es-vélo référencées, la ville de Tournai n’avait finalement rien à envier à ses voisines. Le Britannique Mark Cavendish (Sky), qui s’y connaît en coup de menton, a d’ailleurs plutôt apprécié cette arrivée bonhomme et apaisée, terme de 207,5 kilomètres sans intérêt, côté course du moins. Un peloton uni a ainsi déboulé dans le final constitué d'interminables lignes droites, uniquement coupées par le vent. Premier sprint du Tour 2012, dont nous nous permettrons de ne retenir, faute de mieux, que le nom du vainqueur. Cavendish, au prix d’un coup de rein dévastateur, est venu quérir, tenez-vous bien, la 21e victoire d’étapes de sa carrière. Tournai en bourrique, les suiveurs ont longtemps cherché leurs mots pour narrer l’inéluctable répétition.
C’est dans la marge qu’il convenait de tourner son regard pour trouver du relief... Comme pour nous accompagner dans cette traversée de la Belgique de part en part, la joute à distance entre Cyrille Guimard et Eddy Merckx s’est poursuivie. En s’intensifiant. Bien qu’il soit malaisé au chronicoeur d’évoquer l’affaire avec l’impartialité requise lorsque les Illustres de la Grande Boucle se disputent à l’encre noire de la Légende, la tension entre les deux hommes a atteint un tel degré d’incandescence qu’il est impossible de n’en rien dire alors que la caravane quitte le pays où le Cannibale est roi. Hier matin, Eddy Merckx a donné un entretien à l’Equipe où il n’épargne pas Cyrille Guimard. L’échange verbal entre ces deux monstres sacrés de la Petite Reine est presque devenu un fait de course…

Dans son livre (1), Cyrille Guimard ose ce que personne n’avait jamais vraiment osé: non pas critiquer le coureur Merckx, mais bien l’image peu charismatique qu’il renvoyait de lui. L’ancien directeur sportif de Hinault et Fignon se défend de «toute méchanceté, bien au contraire», assurant avoir voulu exprimer son «ressenti», son «sentiment intime»: «Ma logique philosophique m’empêche de m’enthousiasmer aveuglément, même avec Merckx… Car la logique sportive ne fabrique pas à elle seule des héros.» Seulement voilà, le Belge n’a pas apprécié que Guimard écrive que, à l’inverse de Jacques Anquetil par exemple, il ne l’avait jamais «fait rêver» car il n’était «ni une star, ni une icône» et qu’il n’avait «rien du romantique, rien du poète». Pour Guimard, Merckx «n’a jamais été habité par ce petit quelque chose qui emmène les foules dans un autre monde». Dans l’Equipe, le Cannibale est sorti de ses gonds comme on sort de la route. «C’était un petit sprinteur, disons qu’il avait une petite pointe de vitesse, explique-t-il. Il se prenait pour plus grand qu’il n’était. C’était un petit rat, Guimard ! Un ‘’petit Napoléon’’, comme on l’appelait en France.» Les lettrés apprécieront la référence aux rongeurs, tandis que les connaisseurs rectifieront par eux-mêmes les preuves d’amnésie volontaire. Rappelons en effet, à l’usage des plus jeunes, que le coureur Guimard remporta quand même 94 courses professionnelles, dont 7 victoires d’étapes dans le Tour, et qu’il dut arrêter sa carrière à l’âge de 28 ans (seulement 28 ans!) en raison d’une blessure au genou. Quant à l’ampleur de sa carrière de directeur sportif, les sept Tours gagnés avec Hinault, Fignon et Van Impe, les Giros, les Vueltas, les classiques, la formation d’innombrables champions d’exception, les innovations et tant d’autres choses, un livre entier n’a pas suffi à tout raconter!

Hier matin, après avoir lu l’Equipe, Cyrille Guimard nous disait: «Avoir le plus grand palmarès n’est pas suffisant pour basculer dans la légende, sinon, ça se saurait. Merckx répond par une polémique de cour d’école. Il n’a pas lu le livre.» En salle de presse, les suiveurs oscillaient entre différents sentiments. Pour les uns, la controverse «au moins nous empêche de nous endormir», pour d’autres, «Merckx n’aurait jamais dû brandir l’insulte», pour quelques-uns, enfin, «Guimard a toujours été un libre penseur et dans le vélo ça fait toujours du bruit, la preuve»…

Fin d’après-midi dans les effluves de bière et de fricadelles, sous l’impressionnant Beffroi de Tournai. Pour l’occasion, la cité avait décidé d’honorer la mémoire de la plus grande voix de l’histoire de la radio belge, Luc Varenne, le Georges Briquet local qui berça de mots des générations de passionnés. Mais les bateleurs du verbe n’ont plus la cote et les spectateurs de la province de Hainaut n’avaient d’yeux que pour le vainqueur du jour. Devant eux, le champion du monde Mark Cavendish pouvait se savourer en dieu vénéré. Qu’il se méfie. Cyrille Guimard, dans son livre, prévient: «Dépasser un certain stade, quand on veut être aimé, ce n’est plus le nombre de victoires ou la qualité des victoires qui comptent, c’est aussi la façon dont le scénario sera écrit et la part qu’on y prendra.» En Belgique, où plus qu’ailleurs sans doute la mélancolie des lieux cyclistes constitue les êtres, certains feraient bien de ne pas l’oublier…

(1) «Dans les secrets du Tour de France », éditions Grasset.

[ARTICLE publié dans l'Humanité du 3 juillet 2012.]

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