samedi 9 juin 2012

Grec(s) : petit rappel à ceux qui ignorent l'Histoire...

Jadis, nos maîtres nous hurlaient aux oreilles: «Savez-vous ce que nous devons à la Grèce ? Tout!» Voilà bien le genre de phrase que n’ont pas dû entendre dans leur enfance ni Christine Lagarde ni Angela Merkel...
 Le Parthénon, principal temple d'Athènes.
(A LA MEMOIRE DE JACQUES COUBARD lire ici 
QUI CONNAISSAIT SI BIEN L'ART HELLENE...)
Grammaire. L’évidage de l’école républicaine, par tous ceux qui la nient ou en dévoient l’universalité, n’est pas sans conséquences: l’absence des classiques et des Illustres provoque fautes de sens et grossièretés historiques. Les valeurs de l’enseignement, dont nous étions jadis autant les débiteurs que les usufruitiers, dispensaient depuis les estrades cet art banal de la transmission qu’aucune contingence extérieure ne venait pervertir. Le «connais-toi toi-même» côtoyait l’«esprit sain dans un corps sain». Et quand il nous arrivait, non par renoncement mais par lassitude, de nous éloigner un peu du chemin triomphant de l’apprentissage des connaissances, les maîtres vous hurlaient aux oreilles: «Grammaire grecque! Grammaire grecque!» Et ils ajoutaient, sûrs d’eux: «Savez-vous ce que nous devons à la Grèce ? Tout!» Voilà bien le genre de phrase que n’ont pas dû entendre dans leur enfance ni Christine Lagarde ni Angela Merkel (pour ne citer que ces deux-là, la liste des salauds patentés étant trop exhaustive), tant leur arrogance et leur haine de la Grèce s’entendent à chacune de leurs interventions. Elles ont oublié que, en 1981, lorsque la Grèce adhéra à l’Europe, un certain Valéry Giscard d’Estaing avait demandé aux Français de l’accueillir telle notre «mère spirituelle». Le coauteur de la Constitution de 2005 s’en souvient-il lui-même, d’ailleurs? À l’époque, convoqués au banquet d’Histoire, nos cœurs battaient à la moindre évocation d’une civilisation vieille de vingt-cinq siècles, cela nécessitant un peu de sublimation. Les noms résonnaient en nous comme autant de mystères à déchiffrer, Homère, Platon, Socrate, Eschyle, Sophocle, Euripide, Thucydide, Aristophane, Pythagore, Aristote, Archimède, Hippocrate, tant d’autres… Alors, que doit-on à la Grèce?
Question plus pertinente que jamais, devant l’affront permanent fait à ce pays, qui n’est pas sans nous rappeler l’attitude des États-Uniens lorsqu’ils envahirent l’Irak, sans savoir qu’ils piétinaient le berceau de la civilisation sumérienne et les prémices de l’écriture… Sachons-le : lorsque nous humilions la Grèce, nous insultons la démocratie, la philosophie, la littérature, les mathématiques, la géométrie, l’astronomie, la médecine, l’histoire, l’art, le théâtre, l’olympisme… Car les Grecs anciens, dits de «l’Antiquité», ont jeté quelques bases de l’humanité sur lesquelles s’adossèrent la plupart des évolutions fondamentales de la vie des hommes en société.
Le théâtre d'Epidaure, l'un des mieux conservés de la Grèce antique.
Ancêtres. Nos souvenirs ne sauraient nous trahir. Les héritages légués et les traces-sans-traces apparaissent à la moindre visite, surtout à Athènes, et nous guident vers cette harmonie consacrée du bonheur possible, en arpentant l’Acropole ou en parcourant les ruines d’Éphèse, en naviguant sur les flots empruntés par Ulysse, voire en domptant notre Œdipe. Nos ancêtres hellènes nous inspirent en tant qu’ils nous semblent «vivants». Et n’en déplaise aux pisse-froid de l’ultralibéralisme globalisé, notre aventure avec les Grecs va continuer. Bien sûr, d’autres esprits élevés firent de la philosophie avant les  Athéniens, mais ces derniers se distinguèrent en étudiant non plus uniquement le cours et les travers de la nature, mais les affaires humaines, inventant, grâce à ce prima, une exigence et des méthodes d’existences communes, même si, nous le savons, il y avait beaucoup d’exclus dans la vie démocratique de la cité – les femmes, les «métèques», les esclaves…

Citoyen. Dans ses Mémoires de la Méditerranée, Fernand Braudel énumérait deux manières d’aborder la Grèce éternelle. Primo, en lui tournant le dos: «Toute confusion entre la civilisation occidentale actuelle et celle de la Grèce antique est un jeu de théâtre à la Giraudoux.» Secundo, en lui ouvrant les bras: «La pensée grecque vole vers nous et elle n’a pas fini de nous atteindre… C’est bien la science, la raison, l’orgueil de notre esprit qui nous rattachent à elle.» Ce que Paul Valéry, dans Variété I, résumait à sa manière par ces mots: «Nous devons à la Grèce la discipline de l’esprit. Nous lui devons une méthode de penser qui tend à rapporter toutes choses à l’homme, à l’homme complet. De cette discipline la science devait sortir, notre science, c’est-à-dire le produit le plus caractéristique, 
la gloire la plus certaine et la plus personnelle de notre esprit.» Avec la Grèce, l’humanité est passée du particulier au général, de l’utilitaire au savoir pur, de la mathématique appliquée à la théorie… Pour Platon, «l’homme est la mesure de toute chose». Pour Thucydide: «Nous considérons qu’un citoyen 
qui ne fait pas de politique n’est pas un citoyen tranquille, mais 
un citoyen inutile.» Il n’est jamais trop tard pour se replonger dans les livres – et ainsi freiner la «déshistorisation» du monde.

[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 8 juin 2012.]

1 commentaire:

  1. Vous auriez pu, M. Ducoin, citer aussi Pindare qui laissait entendre que la politique (que les experts, les professionnels, les arrivistes, les apparatchiki confisquent au Démos)n'est rien d'autre que l'art du "mensonge sucré" (pseudos glyky).Il est vrai nous devons beaucoup à la philosophie grecque qui était, avant tout, comme l'a souligné Pierre Hadot un art de vivre. Mais dire ça à nos contemporains que l'école de la République a transformé en consommateurs hédonistes de biens et de services publics et surtout privés revient à pisser dans un violon!

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