Fournel. «Anquetil jouissait de la bienveillance des vents, son nez aigu et son visage de fine lame lui ouvraient la route et son corps tout entier se coulait derrière, fendant les mistrals, pénétrant les bises d’hiver et les autans d’été.» Par cette toute première phrase, l’écrivain Paul Fournel a déjà gagné. La course des mots. Celle de l’éternelle estime. Celle de la légende des cycles. Celle de la fidélité à l’enfance. Celle de la littérature, qui, parfois, dans la roue des champions d’exception, devient elle-même une exception si rare et si prodigieuse que vous restez collé à la lecture, comme dans un contre-la-montre, jusqu’à l’épuisement de la sensation ultime : le bonheur du talent. Avec "Anquetil tout seul" (Seuil), l’ami Paul Fournel enroule devant nos yeux ébahis un braquet hors du commun, prêtant sa plume à la gloire d’un des cyclistes qui a le plus hanté les écrivains et les intellectuels (du moins ceux qui osent admettre leur fascination pour la Petite Reine). Oui, Anquetil fut le héros de Fournel. Depuis sa plus tendre enfance. Disons depuis 1957 pour être précis. Le futur écrivain avait alors dix ans. Et le futur quintuple vainqueur du Tour de France ramenait à Paris son premier maillot jaune, à l’âge de vingt-trois ans. Fournel, qui raconte à la fois son voisinage avec l’Idole mais aussi le lien mystérieux et intime qu’il a entretenu à distance avec ce Normand qui brûlait l’existence par tous les sens, écrit: «J’avais dix ans, j’étais petit brun et rond, il était grand blond et mince, je voulais être lui. Je voulais son vélo, son allure, sa nonchalance, son élégance.» Car le grand Jacques était-il autre chose qu’«un réacteur, une machine IBM et un alambic», selon la formule de Raphaël Geminiani, son directeur sportif? Paul Fournel s’est toujours interrogé. Encore «petit cycliste», il avait «des idées claires sur ce que devait être un champion», «d’abord et avant tout un être porté à l’exploit, et pour cela il devait aimer son sport plus que tout, sans débat». Problème insoluble, puisque Jacques déclarait à souhait: «Je crois bien que je n’aime pas, que je n’ai jamais aimé, que je n’aimerai jamais le vélo.» Le croyez-vous?
Noblesse. Anquetil-Fournel. Au fil des pages, à la mesure des années écoulées, nous devinons la proximité en ampleur entre les deux hommes. Fournel: «Anquetil se tient nu, en équilibre inquiet au-dessus de la baignoire qui se remplit d’eau bouillante. La vapeur monte, lui saisit le sexe, les fesses, les jambes : précieux mollets, cuisses d’or.»
Et encore: «La tête reçoit les effluves, elle fait thermomètre. Anquetil regarde ses pieds sans les voir. Il absorbe la chaleur, il en gave ses muscles. Il ne pense pas à la course dont il va prendre le départ, il n’en répète pas mentalement les virages et le profil. Le tracé est roulé en boule dans son ventre, il le sent dur, compact, douloureux, noué, et il sait que tout à l’heure, juste après le départ, il se défroissera et se déroulera au centimètre comme la plus rigoureuse des cartes routières. Il a peur.»
Paul Fournel, qui a beaucoup écrit sur le cyclisme, presque autant qu’il a pédalé sur les routes de la Loire ou de la Haute-Loire, puis un peu partout dans le monde au gré de ses affectations, traque la vérité du personnage derrière les évidences. Il narre l’homme par-delà le cycliste.
Paul Fournel |
Gamin. Lisez ce merveilleux livre et, surtout, ne manquez pour rien au monde les ultimes pages de Paul Fournel: vous ne les oublierez jamais. Car, voyez-vous, Paul a tellement aimé et admiré Jacques Anquetil qu’il a cru toute sa vie l’avoir vu au côté de Roger Rivière, sur le vélodrome de Saint-Étienne, lorsqu’il était encore gamin. Pour connaître l’incroyable dénouement, vous savez ce qu’il vous reste à faire...
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 29 juin 2012.]
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