mardi 3 avril 2012

Irresponsabilité(s): pourquoi Nicoléon a utilisé des enfants

Après les meurtres de Toulouse. Retour sur une mise en scène scandaleuse et traumatisante devant des élèves...

Gamins. Le rythme de l’actualité nous joue parfois des tours. Il suffit d’un rien, d’une brusque accélération, pour qu’une séquence en chasse une autre et que l’acharnement jaloux à rester sur «la brèche» du jour-le-jour ne finisse par nuire au recul nécessaire et à la réflexion même. Ainsi, comme pris en faute sous l’effet pavlovien d’un retour de bâton pourtant salutaire, le bloc-noteur doit à un ami (moins influençable par le train fou des infos) ce petit rappel à l’ordre sous la forme d’une question : «T’es-tu demandé comment avaient réagi les gamins en entendant ces mots?» Il parlait de l’intervention de Nicoléon devant des élèves du collège et lycée François-Couperin à Paris au lendemain des meurtres des enfants juifs de Toulouse. La vérité oblige: oui, nous avions perçu vaguement que le prince-président avait, ce jour-là, mordu le trait; mais non, nous ne nous étions pas interrogés sur le point de savoir si son attitude avait été inconséquente – voire pire. À l’évidence, cet épisode assez invraisemblable n’a pas été assez commenté.
Erreur. Revoir les images (faites-en l’expérience) de Nicoléon s’adressant à ces enfants et, surtout, écouter les mots utilisés ajoutés à une gestuelle suggestive est une invitation à l’effraction émotive. Comme l’air et la lumière, tous les acteurs prisonniers de cette mise en abîme étaient autant d’éléments d’une spectacularisation outrancière. Car il s’agissait d’enfants. Scène incroyable durant laquelle le prince-président, ramené à lui-même, c’est-à-dire à l’essentiel de son sur-soi déviant, ne maîtrisait plus rien. Ni ses mots. Ni le sens qu’il voulait leur donner. Et bien sûr encore moins sa fonction, qui, en de semblables heures, méritait mieux. Ne le cachons pas, ce que vécurent ces enfants fut assez traumatisant.
Nicoléon osa leur dire: «Ça s’est passé à Toulouse, dans une école confessionnelle, avec des enfants de familles juives, mais ça aurait pu se passer ici. Il aurait pu y avoir le même assassin, ces enfants sont exactement comme vous.» Et puis: «Ces enfants avaient trois ans, six ans et huit ans, et l’assassin s’est acharné sur une petite fille, il faut réfléchir à ça.» Ces phrases n’ont l’air de rien. Elles sont au contraire le signe pathologique d’une irresponsabilité totale. Parle-t-on à des collégiens sur un ton aussi abrupt? Sans explication? Et avec l’évidente volonté de décontextualiser les événements, comme il en est coutumier? À quoi servait la brutalité du procédé, sinon à laisser croire qu’une menace était imminente puisque l’idée d’un nouveau massacre s’insinua fatalement dans les esprits de ces élèves. S’il ne faut jamais mentir aux plus jeunes, le choix des mots et leur mode opératoire sont aussi importants que la narration elle-même. Donner des détails morbides au risque d’inquiéter provoque des angoisses inutiles. N’oublions pas qu’un enfant prend les mots tels qu’ils lui sont dits : en l’espèce, affirmer «cela aurait pu se passer ici» ou «ces enfants sont exactement comme vous» ne constitue en rien une métaphore pour celui qui reçoit ces phrases, mais bien l’affirmation de la possibilité d’un drame sur son lieu de vie. Parler oui. Mais pas n’importe comment. Surtout dans le cadre d’un hommage rendu aux victimes. Nicoléon n’a fait preuve ni de retenue ni d’intelligence. Pour les enfants, la question cruciale était: «Cela peut-il m’arriver ici?» Toute réponse catégorique est une grossière erreur. Répondre par la négative est un mensonge, et l’enfant le percevra. Mais affirmer «oui, ça peut arriver» est une désinvolture coupable, indigne d’un adulte en responsabilité. Fidèle à lui-même, Nicoléon a ouvert la porte à des visions sanglantes et imprécises. Attiser les feux est chez lui une seconde nature.
Lois. Et si Nicoléon cachait mal l’idée d’un Patriot Act à la française? Son attitude peut le laisser croire. Ne vient-il pas d’annoncer dans la précipitation de nouvelles lois concernant l’accès à certains sites Internet ou aux voyages dans quelques pays – lois inapplicables en période électorale, cela va sans dire? Mais en cas de réélection, celles-ci viendraient s’ajouter à l’immense arsenal des normes déjà en vigueur et qui contraindraient encore un peu plus les libertés publiques... Sans surprise, le prince-président a surréagi, sombrant dans l’irrationalité de sa gestion émotionnelle sur tout et n’importe quoi. Répondre «à chaud» à d’éventuels problèmes de terrorisme n’a aucun sens, sauf à considérer que, jusque-là, rien n’a été fait pour respecter le droit (déjà existant) dans toute sa rigueur. La méthode nicoléonienne ne surprend donc plus. Depuis cinq ans, l’usage des lois n’est souvent que prétexte pour effrayer les foules et se donner bonne conscience en surfant sur le malheur et les haines. Les postures de circonstances sont une grave entorse aux principes républicains. Comprend-il seulement le sens de ces mots ?
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 30 mars 2012.]

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