Scène I. Banal tête-à-tête familial, un soir d’ordinaire. En fond sonore, vaguement animée par des images furtivement entr’aperçues du coin de l’œil, la défaite du Real Madrid à Munich se dessine. Un verre de saint-joseph ; hésitation collective entre le carré de chocolat au lait ou noir… Et puis.
– Dis, papa, combien va faire Mélenchon dimanche soir?
– Le plus possible. Espérons le plus possible…
– Tu pratiques la langue de bois, toi, maintenant?
– Tu sais, quand je dis «le plus possible», je ne pense pas du tout à la satisfaction égoïste et compulsive de l’homme engagé que je suis. Je pense simplement qu’un coup d’éclat électoral ferait progresser nos idées, mais, nous ne le disons pas assez, ferait également progresser l’intérêt général.
– Franchement, tu n’en as pas marre de te battre depuis vingt-cinq ans pour des gens dont beaucoup te crachent à la gueule?
– C’est ce que ton grand-père dit souvent. Mais lui aussi il continue de se battre quand même, et depuis un demi-siècle ! Il faut croire que les cocos aiment tellement l’humanité qu’ils oublient la plupart du temps leur sort personnel. Soyons-en fiers!
– Je sais, je sais… Tu répètes souvent que, à tes yeux, je n’ai pas plus de droits que les enfants de nos voisins…
– Et alors ? C’est primordial de ne jamais l’oublier ! En ces temps de brusquerie et d’ensauvagement où l’individualisme et le nihilisme sont les moteurs du monde, où l’on a failli assister à la fin des grandes aventures (la philosophie, l’exploration, la politique) que nous élaborions jadis dès le plus jeune âge, cette campagne du Front de gauche a montré que l’Idée était là, vivante, puissante, éclatante. Cette redécouverte nous dépasse.
– Ça ne suffit pas, ce n’est qu’un tout petit bout du chemin.
– Bien sûr. Mais je retiens une chose essentielle de mon enseignement : l’Histoire (avec un grand H) n’est pas l’étude du passé mais de l’homme dans sa durée. C’est Marc Bloch qui disait cela. Or, l’homme de gauche dans le temps long, c’est celui qui ne disqualifie jamais l’aujourd’hui par l’autrefois, mais au contraire unit l’étude des morts à celle des vivants.
– Je ne comprends rien : pourquoi tu me dis ça?
– Parce que le Front de gauche (et singulièrement Jean-Luc Mélenchon) est parvenu à une synthèse politique à laquelle j’ai rêvé d’assister toute ma vie: le mariage entre les idées marxiennes et celle de la République sociale.
– Ah d’accord, tu vas encore me parler de Jaurès…
– Et comment! «L’idéal supérieur» selon Jaurès n’est ni mort ni vaincu. La preuve. Voilà le «re» éternel de Sisyphe. Imaginons-le heureux: pour l’amour de la politique, pour le progrès. Oui, l’utopie peut gouverner. Notre concept de «radicalité concrète» a redonné de l’espoir à une partie de notre peuple qui ne participait plus à un jeu politique devenu pour elle insignifiant.
– Et Mélenchon y est pour quelque chose?
– Tu plaisantes ou quoi? Évidemment. En quelques semaines, il est devenu ce que certains souhaitaient et ce que d’autres n’imaginaient pas: un accélérateur de dynamisme.
– Allez, tu l’aimes parce que c’est un orateur, un intello quoi…
– Attention: pas de politique sans philosophie, sans «fil d’Ariane». C’est une clé de voûte… L’intellectuel en politique, c’est aussi celui qui, du fait de sa position sociale et intellectuelle, dispose d’une forme d’autorité et la met à profit avec tout son talent pour persuader, proposer, débattre, permettre à l’esprit critique de s’émanciper (justement) des représentations sociales.
Scène II. Autre lieu, ici, ailleurs, ou quelque part dans un quartier populaire. À l’heure de la bière au comptoir. Et puis.
– Dites, je croyais qu’il n’y avait plus de communistes?
– Nous sommes là, cher ami. La chute du Mur n’a pas signifié la «fin de l’Histoire» mais sa refondation…
– Parce que vous croyez toujours en la Révolution, vous?
– Plus que jamais. D’abord l’insurrection civique, puis la révolution citoyenne. Une révolution d’un nouveau genre, par les urnes et le mouvement social: mais une révolution quand même ! ! !
– Votre meilleur souvenir de la campagne de Mélenchon?
– Tous les meetings… La langue, la ferveur, le peuple retrouvé, ce collectif qui laisse à penser que plus rien ne sera comme avant.
– Et une anecdote, juste une?
– La scène se passe à la Réunion, devant plusieurs milliers de personnes. Fin du meeting. Comme de coutume, on passe l’Internationale, tout le monde chante à tue-tête, poings dressés. Aussitôt achevée, une musique d’ambiance est alors diffusée sans transition. Mélenchon ne comprend pas: et la Marseillaise? Ni une ni deux, a cappella, il commence alors à la chanter. Les gens reviennent, puis finissent par entonner l’hymne, jamais aussi bien chanté que là, à cet instant précis. Mélenchon sourit, la larme à l’œil. Ça marque un caractère, non?
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 20 avril 2012.]
Génial exercice !!!
RépondreSupprimerTout le monde n'a pas la chance d'avoir un père comme ça. Merci à JED
RépondreSupprimerCe texte fait du bien. Même en le lisant après le vote...
RépondreSupprimer(...) "cette campagne du Front de gauche a montré que l’Idée était là, vivante, puissante, éclatante".
RépondreSupprimerOui, le temps de l'imparfait s'imposait. Mélenchon a réussi par son talent d'acteur (en grec: hypocritès) à ranimer la flamme sur le tombeau du militant communiste inconnu. Le but de la manoeuvre était de rabattre des voix sur Hollande des fois que l'électorat communiste traditionnel soit tenté par d'autres option?
Mais les temps politiques ne sont plus les mêmes. La théâtralisation de l'espace politique en France a atteint un niveau tel que ses acteurs ne sont plus à même d'en saisir le caratère parodique, ironique, paroxystique. (L'ironie, la parodie sont la dernière lueur que la réalité de l'objet émet encore avant de s'éteindre). La démocratie elle-même est devenue parodique. C'est de ce devenir ou de ce à-venir qu'il faudrait se préoccuper.
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