Gauche. Drôle de dépaysement en notre pays lui-même, où le simplisme devient expédient, où tout se transforme en vérité, où la paresse d’esprit – et le minimum d’informations – s’érige en fréquentation publique. Lu cette semaine dans un grand magazine populaire, cette citation de François Mitterrand datant de 1986: «J’affirme que pour la France hospitalière les immigrés sont chez nous chez eux.» La justesse du propos, nous renvoyant vingt-cinq ans en arrière, n’est évidemment pas en cause. Ce qui chagrine le lecteur toujours munis de lunettes double-foyers? Le commentaire qui suit cette noble évocation. Ainsi peut-on lire ces mots: «Quel candidat oserait aujourd’hui prononcer une telle phrase?», demande la journaliste, visiblement peu informée des propositions et des paroles des acteurs du Front de Gauche, par exemple… Et celle-ci d’ajouter: «La gauche rivalise de prudence pour défendre les derniers entrants contre une xénophobie d’Etat de moins en moins refoulée.» Notre irritation atteignit alors des sommets. Car de quelle «gauche» parle-t-on là, sinon de la gauche dite «socialiste» incarnée par son candidat François Hollande, qui, en ce domaine comme en bien d’autres, ne dispose ni du monopole de la gauche et encore moins du passeport des idées aux estampilles «progressistes».
Signe. A plein régime, la machine à câliner qu’est devenue la communication se déchaîne à tous les échelons d’une société sens dessus dessous. D’un côté, les instrumentalisations des peurs du matin au soir, les manoeuvres ordurières des Nicoléon, Guéant, Hortefeux et autres Le Pen, papa et fifille-la-voilà, dont l’axiome dénominateur reste la division des citoyens entre eux pour les maintenir dans un état de dépendance morale et subjective. De l’autre côté, cette satanée «prudence» érigée en camp, celui dit de «gauche», réduit, pour l’instant, à sa fraction hégémonique: le parti socialiste. Cette espèce de fuite du réel révèle la panique des «élites» et sa déconnexion du monde tel qu’il est. D’autant qu’elle ne résiste pas à une double observation.
Primo: les thématiques dominantes dans la tête des individus, même éloignés de leurs corps sociaux environnants (curieuse idée), tournent autour des mêmes préoccupations sociales et économiques, chômage, précarité, travail, santé, logement, éducation, etc. Secundo: dans cette époque de crises et de tempêtes, qui risquent d’emporter l’esprit républicain et une partie de notre idéal de justice et d’égalité, l’attitude qui consiste à refuser de voir l’une des réalités de la campagne électorale actuelle, à savoir la percée du Front de Gauche et de son candidat à la présidentielle, Jean-Luc Mélenchon, est un signe d’immaturité politique et d’inconséquence intellectuelle. Faut-il seulement s’en étonner?
Mélenchon. Heureusement, de ci de là, quelques exceptions commencent à percer le mur du silence, histoire d’habiller de velours l’horreur quotidienne qui nous tient lieu de fond sonore médiacratique. Quelques lignes approfondies – toujours bonnes à prendre – dans un océan de survols et de lieux communs. Ainsi dans Marianne, Jacques Julliard a-t-il consacré son éditorial au candidat de notre coeur, comme en écho au bloc-notes, ici-même, la semaine passée. Julliard s’interroge: «A quoi sert Mélenchon?» Sachez-le, nous ne partageons ni son postulat (cataloguer le Front de Gauche à «l’extrême gauche») ni sa conclusion («l’impuissance» supposée de ses idées serait une «défaite de la pensée»). Mais Julliard, avant d’en arriver à cette fin que nous jugerons stupide, loue à bien des égards, et sans le vouloir assurément, les qualités du Front de Gauche. «L’utilité du social-mélenchonisme, écrit-il, c’est de déchirer le voile des fausses évidences capitalistes.» Pour lui, pas de doute, Mélenchon «a le verbe, la gouaille, le culot, la formule, la repartie, les colères, vraies ou simulées, et ce grain de folie qui emballe les meetings». Mais il ajoute aussitôt, car la vérité l’oblige et l’engage: «Je m’arrête là. Il serait trop facile et trop injuste de limiter l’écho que rencontre aujourd’hui Mélenchon à son talent oratoire. S’il déplace aujourd’hui des foules considérables, c’est qu’il dit de la situation actuelle ce qu’elles ont envie d’entendre et que son discours sonne juste. Il exagère? Non, c’est le capitalisme qui exagère: ce sont les banquiers et les spéculateurs qui sont dans le déni de la réalité.»
Politique. A la bonne heure. Même pour Jacques Julliard, la fameuse «angoisse identitaire», doublée du non moins tragique «vertige français» dont on nous rebat les oreilles depuis tant d’années, ne sauraient désormais être analysés – à supposé que ce soit possible et utile – isolément du mal essentiel qui ronge ce début de siècle: l’insécurité sociale… Si la sagesse et la raison critique gagnent enfin du terrain, le Front de Gauche n’y est pas pour rien. Elever les consciences en déclassant les raccourcis lamentables sera encore long… Chers lecteurs, vous en connaissez mieux que personne l’ampleur et l’enjeu. Vos innombrables témoignages et réactions à cette chronique de la semaine dernière, consacrée justement à Mélenchon, témoignent que les idées forces ancrent notre gauche, ferme sur ses principes, dans l’histoire sociale et l’art politique majeur. Celui du sublime. Celui des possibles. Celui du bonheur et des sourires. En deux mots: l’espérance française.
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 24 février 2012.]
(A plus tard...)
Intéressant article, de synthèse et d'informations. Décidément, les journalistes de la presse bourgeoise - quoique Marianne n'est pas vraiment bourgeois, si? -ne changeront jamais. Mélenchon est un empecheur de tourner en rond et il les emmerde bien: tant mieux !!!
RépondreSupprimerSalut amical à JED, que je lis avec passion, surtout sur le vélo (et aussi son Marx, très beau livre).
ARMAND
Mélenchon dérange, ça se voit. Même au PCF il dérange, parce qu'il est bon, ultra bon!!! Partout maintenant on ne peut plus se passer de parler de lui. C'est bon signe dans la dernière ligne droite.
RépondreSupprimerSalute.
Il serait bon que le (malheureusement) seul candidat de la vraie gauche et de la justice sociale, sans faire du lèche-botte aux excès vampiriques de la finance capitaliste parasitaire, le candidat du Front de Gauche aux présidentielles, se rapproche des 11 ou 12%... En attendant les législatives et après la trahison austéritaire que vient de commettre au sénat le parti socialiste contre le peuple.
RépondreSupprimerPierre Pifpoche.
P.S.: Votre algorithme pour prouver que l'on est pas un robot, pour laisser un commentaire, est quasiment impossible à respecter pour un être humain normal...
Je vois que notre JED ne lâche plus ni Mélenchon ni le front de gauche. Tant mieux. Merci à toi, JED, pour ne pas lâcher le morceau et maintenir le fil de l'intelligence. La tête les jambes. La réflexion et l'action.
RépondreSupprimerJean-Charles