mercredi 25 janvier 2012

Extrême(s) : pourquoi Marine Le Pen est plus dangereuse que papa-nous-voilà...

La banalisation version Nicoléon a fertilisé un terreau déjà favorable. Et quand l’extrême droite se met à parler de social, le danger lui aussi devient extrême...

Naïveté. «L’avenir à chaque instant presse le présent d'être un souvenir.» Pourquoi Aragon encore et toujours. Pour combler nos fringales de grand large. Pour déconstruire l’actu alitée sous perfusion. Pour le cosmos intellectuel de l’infiniment-nous et le jeu des particules de l’infiniment-grand. Pour que nos petits matins frileux cessent de disséquer ces lambeaux de conscience étourdie par le silence mélancolique. Un chemin entre nostalgie et espoir ? À condition de ne pas sombrer dans la naïveté. Or, quelles seraient les deux plus effrayantes naïvetés politiques du moment ? Primo : croire que Marine Le Pen puisse renverser la table de l’élection, singeant voire dépassant papa-nous-voilà un certain 21 avril. Secundo : imaginer que ladite Le Pen ne soit pas une réelle menace… Concilier cette contradiction, sans sombrer dans le catastrophisme, relève de l’exercice de style. Et du combat ! Le chronicœur l’a souvent écrit : l’atomisation sociale, sous les effets mortifères de la crise, de la paupérisation et d’une espèce de «no futur» nihiliste et consumériste qui s’empare des nouvelles générations, peut produire le meilleur comme le pire. Ni l’un ni l’autre, pour l’heure, ne semble à portée de main. Mais quelques statistiques objectives nous glacent d’effroi. Car les sondages se montrent têtus ces temps-ci. Selon les toutes dernières enquêtes (sérieuses), l’adhésion aux «idées» du FN dans l’opinion publique n’a jamais été aussi élevée : environ 30%. En complément, notons que le rejet catégorique de ces «idées» n’a jamais été aussi faible : environ 35%. Tous les indicateurs signalent donc que, depuis qu’elle a pris la succession de droit divin du paternel, voilà un an, Marine Le Pen a offert à l’extrême droite un changement d’allure (la vitesse, pas la silhouette) et une stature plus sournoisement et adroitement charpentée…
Avec elle, ce n’est pas le ciment qui compte, mais bien les pierres qui forment l’ensemble de l’édifice. Ramenée à sa figure pure, et dépouillée de tout caractère faisant anecdote, Marine Le Pen a non seulement ingurgité mais recrache à merveille tous les fondamentaux de l’extrême droite la plus violente, l’argumentation antisystème, la radicalité brutale renvoyée en miroir à la question de l’immigration, la préférence nationale, l’ultranationalisme, l’ordre total, la haine de l’autre, la division, etc.

Fertiliser. Plus dangereuse que son père ? À l’évidence. Car le climat a changé et la banalisation a gagné du terrain. Des ponts avec la droite ont été «naturellement» érigés depuis cinq ans : du pseudo-débat sur l’identité nationale aux politiques de l’immigration, sans parler de l’écrasement progressif de l’esprit d’égalité universel cher à notre République, jamais la société française laissée à elle-même n’avait à ce point engendré – disons, depuis la fin de la guerre d’Algérie – une logique de bouc émissaire susceptible de harceler la citoyenneté. Rappelons-nous : Nicoléon avait réussi le tour de force en 2007 de gagner en tant que candidat d’une remise en ordre d’un désordre qu’il avait lui-même créé (les révoltes de 2005, par exemple). Sauf que le péché originel se nichait déjà dans cette victoire, celui d’avoir récupéré l’électorat extrême – à la faveur de la droitisation de la société – en assumant la posture et pas mal d’idées fondamentales du lepénisme. Problème. L’échec global du prince-président, qui contresigne son arrêt de mort politique, a entre-temps légitimé la lepénisation des esprits, jour après jour, mois après mois, attisant les braises, jouant sur les peurs identitaires, etc. Certains avaient sous-estimé les failles et les tares idéologiques de l’ordo-libéral Nicoléon. Ils commencent à comprendre qu’il a fertilisé le terreau autour de trois idées de Jean-Marie Le Pen lui-même : la tendance libérale proche du nouveau capitalisme financier (Nicoléon 1) ; l’aspiration individualiste contre le collectif (Nicoléon 2) ; la sortie possible de l’imaginaire universel français (Nicoléon 3). Conclusion : l’homme porte une responsabilité historique majeure.

Fascisme. L’histoire nous a enseigné un invariant du XXe siècle. Quand l’extrême droite se met à parler de social, le danger lui aussi devient extrême. Les fascismes ne furent rien d’autre qu’un projet de régénération totale de l’homme pour rejeter modernité et progrès. Le Pen utilise habilement le même 
argument mais pour critiquer les nations réduites à la dimension marchande. Ne l’oublions jamais. Si fifille-nous-voilà met du social dans sa haine, c’est par conviction : le dieu de l’homme fasciste, c’est l’homme nouveau lui-même et, au-delà de lui, son peuple et sa race. Ces relents nous ramènent, par un mouvement d’involution, aux années 1930… Le pire fut le fascisme à l’échelle du continent. Mais le meilleur fut le Front populaire. «L’avenir à chaque instant presse le présent d’être 
un souvenir.» Le poète a toujours raison. Non ?

[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 20 janvier 2012.]
(A plus tard...)

11 commentaires:

  1. Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.

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  2. Quel article consternant de bêtise avec votre fascisme récurrent. Le Front Populaire ne fit rien d'autre que de livrer la France à l'Allemagne nazie...

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  3. Et moi je trouve consternant, et plus encore, le commentaire de l'internaute précédent... Mon dieu!!!

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  4. Une fois de plus, JED tu as tapé là ou ça fait mal pour certain et c'est tant mieux.D'autant plus que, et c'est consternant, de plus en plus de fachos se défoulent sur ton blog et sur le site de l'Huma.Et le seul moyen de faire taire cette engeance, c'est de voter Front de Gauche.

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  5. Merci JED en effet d'avoir tapé dans le mille et de la plus belle manière qui soit, avec talent et efficacité !!!

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  6. Oui, un grand coup de chapeau à DUCOIN pour nous faire réfléchir sur des sujets aussi complexes et tabous.

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  7. Les idées fascistes progressent, il n'y a aucun doute là dessus. Et JED a bien raison de nous mettre en garde. Le danger revient. Plus grand que jamais. principal responsable, Sarko bien sûr

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  8. L'idée selon laquelle nous vivons un moment d'involution est une idéé pertinente, même si ne je ne crois pas que le processus aille au bout. L'histoire ne repasse pas les plats. Je le crois en tous les cas. Par contre, je suis d'accord pour pointer le diagnostic comme le fait l'auteur : il est lucide et nous aussi

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  9. Merci à "PLUTON" pour son petit message de soutien.
    Et je te dis: vive la sociale!!!
    JED

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  10. Oh oui, VIVE LA SOCIALE !!!
    Gérard

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  11. Le poète l'emportera! la France n'aime pas les perdants (voir le résultat des primaires socialistes pour Ségolène...). Le Pen tente de nous repasser le plat réchauffé avec Marine or dans la pays de la gastronomie il ne faut pas confondre cuisine électorale(déjà dure à avaler) et tambouille fasciste (désagréable à vomir).JED, il faut continuer sans relâche à lutter contre la "bête immonde" qui n'a rien à faire dans la communauté universelle et terrienne des hommes. MERCI.PAT

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