Depuis une note rédigée par deux conseillers de Mitterrand-le-neveu et sa traduction en directive nationale d’orientation, le concept de «culture pour chacun» – qui oppose la prétendue culture d’une élite à celle du peuple, sans jamais parler de l’art et des artistes ! – est devenue l’alpha et l’oméga du ministère de tutelle, un «axe structurant» d’après les éléments de langage, même si, renvoyé dans les cordes par un flot de protestations assez ample, ledit ministre a décidé de faire avaler son slogan en le saupoudrant d’un peu des ors hérités de sa fonction. Ainsi, le forum national qui se déroulera le 4 février à Paris ne s’intitulera pas «Culture pour chacun» mais bien : «Culture pour chacun, culture pour tous et culture partagée». La manipulation est grossière ; elle n’en est pas moins habile. Car en s’inspirant de la célèbre phrase d’André Malraux prononcée en octobre 1966, Nicoléon veut réintégrer la «culture de chacun» (dixit Malraux) dans une ambition («pour tous» et «partagée») qui pourtant le dépasse totalement. Et pour cause.
Caricature. Cette «culture de chacun» transformée en «culture pour chacun», isolée de ses fondations, totalement décontextualisée, ne sert qu’à justifier la baisse des financements et, comme conséquence et objectif non dit, le dépérissement culturel global incarné par un sous-ministre pour une sous-culture. Quel triste bilan, dans ces bureaux de la rue de Valois où les spectres claquent des dents. N’est pas Malraux qui veut. Alors: «Culture pour chacun» versus «culture pour tous»? En ces temps de brouillard épais sur l’éthique publique et au nom d’un constat établi sans aucune nuance, à savoir l’échec supposé de la démocratisation culturelle, nous constatons chaque jour un peu plus que les plus infimes désirs de connaissance se trouvent violentés par l’idéalité des valeurs marchandes. Or, ce qu’une culture tient pour sacré n’a-t-elle pas pour définition : «Ce qui n’est pas à vendre»? Par son principe inégalitaire, la «culture pour chacun» oppose, divise, réduit l’histoire et notre Histoire au simplisme et à la caricature. Culture savante contre culture populaire. D’un côté, l’élite et la fortune, pour laquelle tous les accès mis sous cloche sont facilités ; de l’autre, la masse inculte du peuple, pour lequel une sous-culture se diffuse lors des prime times télévisés…
Médiocrité. L’affaissement programmé de la culture, de haut en bas de la République, signe l’achèvement du processus nicoléonien : transformer les citoyens en consommateurs, les contraindre à la sortie de l’Histoire et des moyens d’agir pour la transformer, assistés par les ordinateurs de l’amnésie heureuse et publicitairisée… «Je veux que la culture soit faite pour le peuple», lançait Nicoléon en 2009. Nous pourrions invoquer la haine du sens avec pour scène primitive celle du Fouquet’s : des vedettes mais pas d’artistes, du show-biz mais pas d’écrivains, des patrons mais pas de philosophes… Derrière la mise au rebus de la Princesse de Clèves ou de l’histoire en terminale S, l’anti-intellectualisme rampant se traîne dans les caniveaux comme l’image du pire des populismes. Dépourvu de toute culture de la culture, Nicoléon ne pouvait que niveler par le bas. À la hauteur de sa médiocrité.
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 27 janvier 2012.]
(A plus tard...)
Magistrale démonstration. Merci pour les trois dernières phrases!!!
RépondreSupprimerNotre bon Nicoléon a des conseillers culturels puissants style BHL, philosophe de bazar médiatique, qui cite un auteur n'existant pas dans ses oeuvres ou Frédéric Lefebvre, secrétaire d'état de bazar vestimentaire qui cite "zadig et Voltaire" en guise de littérature vestimentaire. je pourrai continuer ainsi longtemps...plus bas que le caniveau les égoutiers de la culture bling-bling nicoléonnienne ont et vont encore frapper! PAT
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