BHL. Toute victoire individuelle sur l’esprit collectif étant une régression, ne prenons pas l’exercice qui suit à la légère. Lorsque Bernard-Henri Lévy veut jouer un rôle politique, le chemisé de blanc n’hésite pas à sortir sa plume, quitte à la confronter à l’ironie des canons ; le philosophe n’en est pas moins médiacrate. Une guerre se déclare ? BHL prépare son sac de voyage et prévient son éditeur. Cette fois, il aurait fallu s’exiler sur Mars pour ne pas remarquer son activisme lors du conflit entre l’Otan et la Libye de Kadhafi. Résultat, sitôt l’ultime «coup de feu» tiré, un pavé de 640 pages au titre évocateur, la Guerre sans l’aimer (Grasset), récit ultra-«bhlien» qui aurait dû s’intituler «Ma campagne de Libye». L’homme, plus narcissique que jamais – quel autre héros que lui-même? –, met en scène ce qu’il souhaiterait être sa posture romantique dans l’Histoire quand il ne s’agit trop souvent que de l’histoire de sa propre posture. N’est pas Malraux ou Chateaubriand qui veut. Voici le contraire d’un livre d’histoire : un récit d’aventure… Pour un écrivain, les commencements sont toujours magnifiques – mais attention à ne pas prendre ses désirs pour des réalités. S’il nous donne l’illusion d’entrer de plain-pied dans les coulisses de l’Histoire, alors que son «je» figure à chacune des pages – un jour mangeant du mouton au riz graisseux dans le désert avec des chefs de tribu, le lendemain dînant dans un restaurant chic parisien, etc. –, nous restons confondus lorsqu’il lance cette adresse au peuple réuni à ses pieds sur la corniche de Benghazi: «Jeunesse de Benghazi, libres tribus de la Libye libre, l’homme qui vous parle est le libre descendant d’une des plus anciennes tribus du monde…» L’effet comique ne suffisant pas, il ajoute: «Je suis un philosophe !» Et il ose: «Mais qu’y puis-je si, quand je dis l’Autre, on entend Moi?» Qu’on ne s’y trompe pas. Pour BHL, «tout» est relaté et «tout» est réel dans cette chronique, que ce soient les tractations avec ceux qu’il nomme «les révolutionnaires», ou, dans les coulisses du pouvoir, lors de ses entrevues à l’Élysée, son évidente maîtrise à convaincre Nicoléon que celui qui a raison, c’est lui, et personne d’autre! D’ailleurs, le philosophe et le prince-président paraissent ici à l’unisson, sans qu’on ne sache plus bien qui devient le concierge de l’autre au cœur de cette hystérie de prises de décision. Au moins le porte-plume a-t-il un nom et trois initiales: BHL.
Influer. Nicoléon serait-il devenu son nouveau maître? Le philosophe dresse de lui un portrait pour le moins flatteur, «faisant mentir ainsi bien des idées reçues le concernant» (dixit). Et il insiste: «Je ne juge pas, j’observe.» BHL se veut-il pour autant reporter de guerre? Il réfute l’expression. Il l’assure: «Je prétends, moi, faire davantage que du reportage que rapporter ce qui advient, (…) je suis dans un rôle où il ne s’agit plus ni de commenter, ni de célébrer, ni, encore moins, de s’extasier, mais d’influer.» À la toute fin du livre, il dénonce – enfin – le lynchage de Kadhafi. Mais il ne s’interroge ni sur les curieux rebelles qu’il a soutenus, ni sur la légitimité de cette guerre de type néocoloniale, ni, encore moins, sur les racines de son propre discours de «justesse» et de «justice» de cette guerre comme façade idéologique: celle d’un moralisme politique, versus celle d’une authentique «morale politique» (Kant), qui condamne a priori la guerre, respecte le droit des nations et ne saurait varier en fonction des appétits des hommes et des États – et encore moins des intellectuels qui se revendiquent de toutes les guerres sans jamais avoir participé à aucune. Pathétique orgueil de vouloir jouer un rôle dans l’Histoire immédiate.
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 18 novembre 2011.]
(A plus tard...)
Bien content de lire un peu de méchanceté etayée sur BHL - marre de cet intello de pacotille, qui, lui aussi, finira dans les bras des pires libéraux... la honte de la France.
RépondreSupprimerPlaisir de lire ça, merci JED !!!
RépondreSupprimerArticle critique et pertinent : d'une intelligence critique. Servi par une vraie plume, qui plus est ...
RépondreSupprimerSi ce n'était ce pavé de 640 pages relayé par la complaisance médiatique, le sujet ne prêterait plus qu'à sourire : la grotesque de BHL, sa grotesque suffisance, dans sa quête d'un destin historique aux quatre coins du monde, le situe définitivement à hauteur de Napoléon le petit. Comme son nouveu maître en politique : Nicoléon. Il se voit en piedestal. Il est à talonnette. "Philosophique" ou politique, la talonnette nous envahit.
Voilà la plus grande arnaque littéraire de la rentrée !!!
RépondreSupprimerIl est vraiment excellent ce BHL ! Non seulement il a l'indignation sélective, mais aussi la langue trop bien pendue. On le savait quémandeur de notoriété diplomatique (il doit se rêver en plénipotentiaire du temps des colonies, ce n'est pas possible, ce nouveau Tartarin), on le découvre aujourd'hui pipelette, au point de révéler des secrets d'état plutôt inavouables dans son ouvrage (déjà) paru, dont d'aucuns ont déjà extrait les perles. Ce qui nous évitera de l'acheter et d'alimenter le rayon pressing de l'écrivain arpenteur de scène libyenne, et ses chemises immaculées bien connues. Grâce à la concierge BHL (bien vu), on sait tout ce que Sarkozy n'a pas voulu nous dire : finalement, il vaut mieux ne pas être aidé par BHL, est-on tenté de conclure aujourd'hui. Car là, notre vibrionnant président n'est pas vraiment aidé. Ce n'est plus un assistant et un soutien, c'est un boulet véritable, à vous exploser en cinq confidences tout ce que vous vouliez tenir jusqu'ici secret. Le pseudo-philosophe vient de s'inventer un nouveau rôle. Avec son panneau traditionnel accroché pendant son escapade au Maghreb : "BHL est dans l'escalier". Lui qui rêvait d'escalader les marches de l'histoire, le voilà dans les escaliers... sans issue.
RépondreSupprimerBHL est ce que KEN est à BARBIE et ce que le dandy est à Nicoléon, une poupée politique dans le sillage et le verbiage des puissants. Il connait aussi le plagiat politique....et médiatique...le dandysme a encore frappé! (il me fait penser à un ancien ministre philosophe étant récemment payé à... ne rien faire justement!!) ...normal, en république monarchique avec Nicoléon en agent recruteur au Palais...PAT
RépondreSupprimerMa guerre en Libye serait un peu le bréviaire du nouvel intellectuel décomplexé et définitivement affranchi de ses obligations morales vis-à-vis des peuples,des causes universelles,de l'égalité...etc.L'intellectuel de guerre est devenu le nouveau prototype de l'homme "éclairé" par le copinage avec les puissants,les féodalités économiques et les lobbies de toutes sortes.L'intellectuel de guerre auquel Mme Canto-Sperber-thuriféraire de la « guerre juste »- rend hommage à sa façon est un nouveau genre d'individu prompt à se soumettre aux modes et aux sirènes de la gloire acquise à peu de frais(enfin…. avec l'argent du contribuable).Nous savons aujourd’hui que le grand écrivain Emile Zola(qui n’était pas bachelier….)à la plume si sûre et si juste a donné sa vie pour la cause qu’il défendit alors et qui ne faisait guère recette,à savoir l’Affaire Dreyfus.Cela n’est pratiquement jamais dit comme s’il allait de soi qu’un « intellectuel » serve les intérêts des puissants et les causes gagnées d’avance.Le contraste entre les réalités présentes et certaines réalités passées est saisissant.Les exemples d’intellectuels courageux-de Jean Cavaillès à Marc Bloch en passant par Gabriel Péri-qui ont réellement éclairé les enjeux de leur temps ne manquent pas dans notre histoire passée et plus récente.Pourtant,force est de constater que la figure de l’intellectuel est trop souvent devenue synonyme d’obscurantisme,de faire-valoir,de corruption et de servilité.Il y a là un paradoxe qui laisse songeur dans le pays qui a précisément vu naître la figure de l’intellectuel.
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