lundi 18 juillet 2011

Tour : une Grande Boucle face à l'équation Voeckler

A Montpellier, Cavendish remporte au sprint la 15e étape. Après les Pyrénées, le maillot jaune est toujours sur les épaules de Thomas Voeckler (Europcar), que certains n’hésitent plus à présenter en vainqueur possible…
Depuis Montpellier (Hérault).
On ne sait pas ce que la vie nous donne. Et les cyclistes ne savent jamais ce que la course va leur prendre… Lorsque les forces vacillent et que le corps se met en friche, vient le moment dans le creux de son âme où le jour devient nuit, où l’horizon se fait crépuscule dans le silence de son affaissement. Au contraire, lorsque les jaillissements de l’esprit dictent leur loi à un physique pour l’heure soumis, surgit cet instant de troubles étranges où l’on se sent moins seul parmi les anges. Demandez à Thomas Voeckler ce qu’il en pense. Avec lui, au moins, le chronicoeur revisite ses classiques et se voit dans l’obligation de retourner le grand Livre poussiéreux à la recherche d’anciens marque-pages où jaunissent quelques récits oubliés d’un temps un peu plus égalitaire. N’en doutez pas. Voeckler lui-même confessait, samedi soir, avec un sourire en coin: «Avec mes jambes d'aujourd'hui, je n'aurais pas pu suivre les Armstrong et Basso de 2004… Un cran au-dessus, j’aurai explosé!» (1)

Bienvenus à tous dans le «nouveau cyclisme»? Le chronicoeur, qui en a vu d’autres depuis 1989 (déjà) s’interroge. Alors ce Tour, plus humain et moins pharmacopée? Du haut de ses 32 ans (re-déjà), notre «titi» Voeckler n’est pas loin de le penser: «Les choses vont mieux dans le vélo. J'ai compris qu'il ne faut pas faire attention à ce qui peut se passer autour. J'ai toujours fait du vélo avec la même envie. Toutes les instances du cyclisme vont dans le bon sens.» Amélioration, normalisation de langage, les deux? Quoi qu’on en pense, une appréciation s’impose en effet à la vue de tous: dans la montée vers le Plateau de Beille, les cadors qui d’ordinaire frétillent, aboient et détalent sur ce genre de pourcentages, étaient grandement à la peine. «Les "outils" ne sont plus les mêmes et ça se voit», s’amuse un directeur sportif sans néanmoins crier «victoire».

Quant à Voeckler, il admet modestement ne pas «avoir de réponse» pour expliquer la faiblesse des performances des Contador, Schleck, Basso et consorts dans les Pyrénées, manière d’affirmer que les siennes (de performances) n’ont rien de magique. «Je n'ai jamais eu l'ambition de finir avec les favoris du Tour au Plateau de Beille alors qu'ils se sont attaqués», résume le porteur du maillot jaune. « Je ne sais pas trop quoi dire, je suis vraiment surpris. Depuis Luz Ardiden, j'étais moins battu dans ma tête même si je n'étais pas serein pour autant. Mais les favoris se neutralisaient et se regroupaient après chaque attaque. J'ai réussi à suivre au prix d'une souffrance terrible mais j'ai réussi à suivre.» 

Depuis, les commentaires ne manquent pas, émis soit du bout des lèvres, soit avec onctuosité. Première manière, Andy Schleck, qui, interrogé sur la crédibilité du Français comme possible vainqueur final, a lâché un «peut-être oui» très dubitatif. Seconde manière, le fantôme de Lance Armstrong, qui, sur tweeter, a prévenu: «On doit dire qu'il peut gagner le Tour de France. Il a 2'06'' d'avance sur Evans. Le dernier contre-la-montre fait 42 km. Il est Français. C'est le Tour de FRANCE. Il ne perdra pas 2'06'' dans le dernier contre-la-montre s'il garde le contact dans l'Alpe d'Huez. Le mec sait souffrir…» Le spectre venait de parler, grand frisson dans le dos des suiveurs…

Car derrière l’amour ou la simple passion du cyclisme triomphant, une équation réapparaît soudain pour la Grande Boucle, admirablement résumée par Jean-René Bernaudeau: «On retrouve des défaillances, des grimaces, des sourires.» Alberto Contador en sait quelque-chose. Samedi soir, il avouait: «Je n’ai pas beaucoup de bonnes sensations. Pour une raison ou une autre, je ne cours pas comme j'aime. Mais je me sens mieux chaque jour.» Méfions-nous. En toute destinée malmenée réside un ultime voeu de puissance, comme l’exigence d’une autre interprétation de soi-même, une réévaluation que seuls les Titans de l’espèce parviennent à s’imposer. Contador sera-t-il de ceux-là? «J'espère que je serai totalement remis dans les Alpes pour attaquer», glissait-il, avant d’assurer qu’il prenait Thomas Voeckler au sérieux: «C'est un coureur qui s'accroche, mais le jour où il craquera, il perdra beaucoup de temps. S'il craque...»

Hier, sous grisaille, le Britannique Mark Cavendish (HTC) a remporté sa quatrième victoire d’étape cette année… Mais le chronicoeur pas sérieux, déjà les yeux tournés vers les Alpes, osait rêver à autre chose. Du genre futur en tricolore. Comme disait Camus: «L'espoir, au contraire de ce qu'on croit, équivaut à la résignation. Et vivre, c'est ne pas se résigner.» Bien qu’on ne sache jamais ce que la vie nous donne, Thomas Voeckler sait désormais ce que la course va tenter de lui reprendre…

(1) Au sommet du Plateau de Beille, le vainqueur de l'étape samedi, Jelle Vanendert, a établi le meilleur temps de l’ascension finale, en 46'04''. A titre de comparaison, Alberto Contador, en 2007, avait mis 44'08'', Armstrong avait mis 45'30'' en 2004, puis 45'43'' en 2002. Le record appartient toujours à Marco Pantani, en 43'30''...

[ARTICLE publié dans l'Humanité du 18 juillet 2011.]

(A plus tard...)

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