lundi 14 février 2011

Vélorution(s) : le cyclisme s'enfonce toujours plus bas...

Cyclisme. Face aux Minotaures de carton-pâte qui ensuquent nos songes d’insomnies volontaires, la vie parmi les ombres nécessite parfois d’écrire depuis un lointain-proche d’autant plus incandescent et douloureux qu’il oblige 
de creuser en soi pour trouver la force d’avancer jusqu’au retournement de la conscience. Malheur sur ordonnance… Depuis la mort de l’ami Laurent Fignon, le chronicœur du Tour de France, fiancé d’amour et d’orgueil avec la Petite Reine, ne parvient plus à contenir les larmes de son âme sanguinolente. Cheminant dorénavant sur les traces-sans-traces des empreintes martelées par les profanateurs, le mal semble fleurir 
au quotidien sans que nous ayons besoin de tenir le registre macabre des cadavres. Les vivants s’en occupent. Et leur spectacle bestial et vulgaire reste dépourvu de toute philosophie de vie. Ceux à qui il reste des yeux pour voir se passent très bien de caméras de surveillance – le regard se brouille. Les comiques ont beau masturber les populations avec tout et n’importe quoi, les intellectuels peuvent bien tenter l’analyse d’un milieu en perdition, les écrivains s’essayer à sauver ce qui peut l’être, sans parler des amoureux, les vrais, qui ne comprennent pas que leur amour est devenu l’autre nom de la vanité, non, décidément plus rien n’y fait : le cyclisme continue de s’enfoncer si bas, si profond dans les entrailles de ses dérives, que, bientôt, même le fidèle bloc-noteur ne pourra plus se baisser pour l’y ramasser…

Ricco. Vous souvenez-vous de Riccardo Ricco, alias « le Cobra » ? Après avoir survolé toute la première partie du Tour 2008, le sulfureux Italien, provocateur et hâbleur, avait été contrôlé « positif » à la stupeur général. Pensez donc. Le coureur au format de poche, qui, soi-disant, allait réenchanter les chevauchées montagnardes et nous redonner la saveur des héroïsmes d’antan, n’avait pas seulement endossé l’héritage laissé vacant par la mort tragique de son compatriote Marco Pantani, il avait aussi singé les mœurs d’une époque crépusculaire. Depuis, chacun pensait que le sale gosse, repenti du dopage et qui jurait ses grands dieux qu’on ne l’y reprendrait plus, résisterait à la tentation en reprenant goût aux plaisirs simples. « Cette expérience m’a appris qu’il n’y a pas que le vélo dans la vie », clamait-il. Erreur. Hospitalisé d’urgence dimanche dernier après un malaise à l’issue d’un entraînement, le grimpeur s’est retrouvé entre la vie et la mort dans un service de neuro-réanimation. Face à l’urgentiste, Ricco a reconnu qu’il avait pratiqué une autotransfusion avec du sang conservé dans le réfrigérateur de son domicile depuis vingt-cinq jours – une mauvaise conservation serait à l’origine de sa grave septicémie. Duplicité, morbidité, inutile d’en rajouter sur le caractère lugubre des circonstances, qui en disent long sur le personnage. Sa compagne, cycliste elle aussi, a été contrôlée positive en janvier 2010. Et les carabiniers ont retrouvé des substances interdites au domicile de son beau-frère, en septembre dernier…

Crédibilité. Dans cet ici-et-maintenant en flammes, à qui faire confiance ? Et pourquoi l’oserait-on ? Lance Armstrong vient de raccrocher le vélo au clou de l’arrogance et sera tôt ou tard rattrapé par ses mensonges si grossiers que sa statue de pseudo-« révolutionnaire » du cyclisme s’effondrera d’elle-même: la justice américaine s’occupe de son cas et l’étau se resserre. Quant à Alberto Contador, suspendu pour avoir confondu viande de bœuf et poches de sang survitaminé, sa crédibilité sportive est à peu près égale à sa moralité… Laurent Fignon confessait: « Les hommes, à vélo, ressemblent toujours à ce qu’ils sont : on ne triche jamais bien longtemps. »

Honneur. Dans ce cyclisme déroutant, véritable monde en réduction qui, jadis, créait des héros à sa démesure, tout va désormais tellement vite que plus rien ne se passe vraiment. Les Géants de la route ont muté en Néants de la route, déroutés d’eux-mêmes, perdus en oraison au gré des scandales, de la surmédiatisation et des intérêts croissants. Même le temps, qui donnait une petite chance à la vérité et à la rédemption, s’est compressé, réduit à une peau de chagrin – à risquer sa peau le chagrin s’affirme. Les jeunes ? Vieux. Les vieux ? Morts. Et les morts ? Oubliés… Cet univers empoisonné fabriquera 
sous peu des perfusions contre la modestie, la mémoire, le secret – et même le talent, dont on ne sait ce qu’il signifie encore… La caresse du style comme le sourire de l’insoumission ne suffisent plus à nous réhabiliter avec l’insouciance d’une jeunesse trahie. Un décalage mortel s’est creusé entre la course 
et ses coureurs, métamorphosés en figurines fictives postmodernes qu’aucunes représentations, fussent-elles transgressives 
ou nichées dans l’aura onirique des récits littéraires, ne parviennent à sauver. Laurent Fignon disait aimer les « détrousseurs de vie », les « voleurs de feu », les « braqueurs de temps », les « authentiques courageux » qui hurlaient « for l’honneur ! » en souffrant pour la gloire et la beauté du geste… Le suiveur du Tour, dont le rythme biologique et intellectuel 
est calqué sur la folie de juillet et son mode répétitif, rituellique, symbolique et mythique, a fini par découvrir avec horreur que la 
première partie de sa vie s’est passée à désirer la seconde – et que la seconde se passera probablement à regretter la première…


[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 12 février 2011.]

(A plus tard...)

8 commentaires:

  1. Cette affaire Ricco est un coup de poignard pour tous. Il y a encore cinq ou six ans on pensait qu'on en sortirait, que les combats des directeurs sportifs français changeraient les choses. Mais non. Incorrigibles cyclistes. Il faut qu'ils partent tous !!!

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  2. J'ai bientôt 77 ans. Je suis un passionné du cyclisme depuis 1945. Je crois que je suis arrivé au bout de ma passion avec toutes ces affaires. L'UCI est une organisation de Jean-Foutre.
    Le "Pro-Tour" est une usine à dopage

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  3. J'ai 42 ans et moi aussi, je commence à perdre ma passion en route. Sauf peut-e^tre le Tour de France, qui reste un "truc" à part dans le calendrier : d'ailleurs sans le TOur le cyclisme existerait-il encore médiatiquement?

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  4. Franchement, si en plus Contador est "blanchi" comme le dit la presse espagnole, c'est la fin des haricots ! Ce serait une nouvelle absolument terrible pour tous ceux qui espèrent encore à un vélo propre - sans forcément y croire encore. Tout le monde sait que Contador a triché lors du dernier Tour. Si un vice de forme le sauve, c'est catastrophique...

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  5. Tu as 42ans, et visiblement tu n'a pas canalsat! Le tour de France est devenu une misère de plaisir. Tu ne connais que cela car tu te limite à la navrante télévision publique.
    De plus le dopage a toujours existé, même en 1945. Je vous incite à vous renseigné sur les puissances développées par les coureurs. Elles sont jugées surhumaines. Les français font partie des coureurs les plus puissants. Pourqquoi ils ne gagnent pas? Non, pas parcequ'il sont moins dopés, seulement parce qu'ils sont moins courageux.
    Alors arretez de croire, réfléchissez, et dites vous que le dopage n'enleve en rien leur souffrance, il repousse juste leur limites.

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  6. Bien sûr en première lecture il y a de quoi avec JED se scandaliser et regretter le bon temps où le sport n'était pratiqué que par des amateurs, sains, honnêtes, francs, amoureux de la Patrie, désintéressés par l'argent et les...femmes.
    Mais ce bon temps at-il vraiment existé? Bien sûr que non! Passons sur ce jugement de B Brecht: "Le sport est sain dans la mesure où il est dangereux (et non pas d'anges heureux)". Mais dès l'origine en Grèce le sport est traversé de tous les travers qu'on lui accorde aujourd'hui: la tricherie et le sexe avec Attalante et Hyppomène et Méléagre, Pélops que raconte Pindare, Hyppodamie etc...La liste est longue.
    Le discours consistant à vouloir à tout prix nettoyer le sport et bien d'autres pratiques dans lesquelles les mortels symbolisent leurs passions d'être un autre aimé du grand Autre, des tricheries, du dopage, de la corruption est aussi suspect et vain que celui qui veut expurger la politique des manigances, des calculs, de la corruption, de la tricherie elle-même! Le politique et le sport sont la guerre poursuivie par d'autres moyens. Au demeurant peut-être que la guerre qui est une règlementation canalisante de la violence est-elle plus scrupuleuse et respectueuse des normes et des règles?
    Et si la corruption gagne tant le sport et la politique n'est-ce pas d'une certaine manière parce que les hommes ne parviennent plus vraiment à symboliser sainement le meurtre tant les cadres juridiques explosent eux-aussi à l'échelle de la planète conquise par le capitalisme destructeur de tout ce qui existe? Peut-être que le vrai problème est la?

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  7. "Et si la corruption gagne tant le sport et la politique n'est-ce pas d'une certaine manière parce que les hommes ne parviennent plus vraiment à symboliser sainement le meurtre tant les cadres juridiques explosent eux-aussi à l'échelle de la planète conquise par le capitalisme destructeur de tout ce qui existe?"
    Ouah... quelle belle leçon de dialectique !!! Et la passion, la simple passion, alors, il faut la tuer aussi ?

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  8. les coureurs sont des banques ambulantes...tant qu'ils seront à la merci des sponsors et assis sur une selle potentielle de billets on en sortira pas...ce n'est plus une course sportive mais une course commerciale et publicitaire ..ne soyons pas étonnés...c'est la caravane publicitaire de la plus grande pharmacie de France comme le disent de nombreux français, c'est un labo et une seringue ambulante qui passent...pour revenir à un cyclisme propre il faudrait changer de planète...et devenir des extra-terrestres! il est loin le seul sport comme motivation....dommage ou tant pis!...PAT

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