mardi 2 novembre 2010

Présent(s) : quand le conflit social nous parle d'ici-et-maintenant...

Combat. «Ce qu’il faudrait désormais, c’est moins un goût de révoltes individuelles qu’une volonté collective copernicienne… en sommes-nous si loin ?» D’un pas assuré, le rouge au front, les yeux pétillants et ce quelque-chose dans la valeur des mots qui porte loin, le vieux bonhomme arpentait, ce jeudi, les rues d’une petite ville de province d’où émergeaient, plutôt vaillantes, des centaines de personnes. Carnet en main, le bloc-noteur en vadrouille constata depuis les tréfonds vivants-souffrants d’une France révoltée que cette volonté populaire, déniée et méprisée par le pouvoir, n’avait rien d’une fable et «pensait» haut et fort la structuration de ses colères, avec ses éclats et ses limites, sans fantasme, ni repli. «Bien creusé, vieille taupe», comme disait Hamlet, nous sentions là l’intensification d’un présent d’autant plus humain qu’il avait dépassé tous les préavis. De notre ici-et-maintenant s’ouvre un espace plus vaste d’intervention humaine qui s’oppose frontalement à «l’économisme» étouffant des logiques de domination. En verve, notre vieil homme ajouta pour tout au-revoir une espèce de mise en demeure : «Le monde des possédants redécouvre l’existence des possédés, les dominés se retournent contre les dominants. Au fond, l’aspiration à l’égalité est toujours présente dans ce vieux pays. Malgré les années d’individualisation à marche forcée, il était temps qu’on sorte de cette nuit d’insomnie. Et si ça ne faisait que commencer ?»

Événement. Loin des «lendemains» qui chantent, qui furent, dans la mythologie occidentale, 
plus usités par les adversaires de toutes pensées révolutionnaires ou communistes que par ses acteurs, il n’est pas inutile de se rappeler à l’urgence du présent comme source de motivations. Tandis que nous assistons cette semaine à toutes les interprétations possibles et imaginables sur le reflux ou non du mouvement social actuel, chacun, donc, devrait se rendre à l’évidence : la temporalité effective de l’action inventive, qui vise non à accompagner le monde tel qu’on veut nous l’imposer mais à y faire surgir des possibilités jusque-là inconnues, est toujours celle d’ici-maintenant. Même placé sous l’emprise d’une représentation de l’à-venir, le temps réel
du conflit reste ce présent à embrasser, car celui-ci, en réinventant une transcription symbolique «de la» politique, donc une forme de réappropriation de l’action publique dans la Cité, redonne goût au surgissement de l’événement voulu par un collectif – et non plus subi. Ce à quoi nous assistons depuis des mois a d’ores et déjà contredit l’arsenal de normalisation libéralo-capitalistique dont on nous rebat les oreilles depuis au moins une génération. Partout émergent de nouvelles espérances plus ou moins assumées, au moment même où le capitalisme globalisé, loin de se «moraliser» (sic), favorise la misère psychique et économique, et la promotion des États adossés à des logiques ouvertement inégalitaires. Nous venons de loin : longtemps, la marginalisation de la classe ouvrière, qui s’accompagnait, de fait, de la disparition du concept de lutte des classes dans le débat public, n’a pas été le fruit du hasard mais la condition sine qua non pour une adhésion massive – ou une passivité non moins massive – des Français au libéralisme politique. Ses promoteurs ont tenté de mettre à la poubelle de l’histoire l’idée même de r-évolution, Mai 68, le Front populaire, affirmant que les individus (versus les citoyens) seraient plus heureux
dans un monde dominé autant par la spéculation financière que par un hygiénisme consumériste. N’ayez que des devoirs, surtout plus de désirs. Ne pensez plus. Soyez pragmatiques…

Héritages. Et voilà que la réalité – oui, ce fameux «principe de réalité» pour une fois inversé – vient contredire 
la propagande officielle. La bataille des idées ne serait 
donc pas vaine, ni perdue. Alors que chacun redoutait que la crise sociale ne frappe notre société en ses points les plus fragiles, exacerbant les tendances de fond, réactivant
les névroses des refoulés, bref accélérant les rancœurs et les réflexes basiques du populisme aggravé, le peuple français a préféré réinstaller sur sa table des valeurs l’aspiration à une autre forme de vie. Au point de s’enthousiasmer pour 
une séquence de luttes dont la casse des retraites, pointe avancée de la destruction de nos droits, est devenue un emblème majuscule. Par les temps qui courent, «nous» et «bien commun» ne s’improvisent pas. On voulait nous faire croire que ces héritages, supports hier d’affirmations collectives, étaient dépassés, pris en tenaille entre les revendications identitaires par en bas et les processus actuels de la mondialisation dans le cadre de l’hégémonie du système capitaliste néolibéral. C’était compter sans l’insurrection 
des consciences et, pourquoi pas, sur le réveil d’un idéal de transformation de la société. Soyons toujours avec Gracq: «Point de ‘’monde’’, quel qu’il soit, sans un principe interne d’organisation, sans une sorte de ‘’vouloir-être-ensemble’’ au moins sommeillant, sans un point de fuite, même infiniment éloigné, vers lequel convergent les lignes de sa perspective.» Et toujours avec Aragon: «Hommes de demain, soufflez sur les charbons / À vous de dire ce que je vois.» Ce qu’il faudrait désormais ? Que chacun soit capable de bien plus de choses nouvelles que ce qu’il imaginait…

[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 30 octobre 2010.]
(A plus tard...)

9 commentaires:

  1. Et maintenant? Oui, que se passe-t-il maintenant? On continue? On arrête tout et on a perdu en rase campagne? L'amertume est grande si tout s'arrête ainsi. A qui profitera-t-elle? Tout cela fait très peur.

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  2. Je ne connaissais pas cette phrase de Gracq: « Point de ‘’monde’’, quel qu’il soit, sans un principe interne d’organisation, sans une sorte de ‘’vouloir-être-ensemble’’ au moins sommeillant, sans un point de fuite, même infiniment éloigné, vers lequel convergent les lignes de sa perspective. »
    Merci à JE Ducoin de nous l'avoir donné.
    Pour répondre au précédent internaute : non, il faut continuer à croire en la lutte. La lutte des classes....

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  3. L'ASSURANCE MALADIE 50 secondes de lecture à couper le souffle Pour combler le déficit de la sécu, nos chers gouvernants ont trouvé que le mieux, c'était encore de nous faire payer...

    a, Dorénavant, sur une consultation médicale, nous versons 1 euro

    b, Nous sommes restreints lors de nos arrêts maladie ...

    c, Nous devons consulter un généraliste avant de voir un spécialiste ..

    d, Pour tout traitement de plus de 91 euro, nous en sommes de 18 euros de notre poche

    e, Taxe de 0,50c sur les boites

    f, etc.......

    Toutes ces mesures sont destinées à combler le fameux trou qui est à ce jour de 11 milliards.

    Or, savez-vous que :

    a, Une partie des taxes sur le tabac, destinée à la Sécu , n'est pas reversée. 7.8 milliards

    b, Une partie des taxes sur l'alcool, destinée à la Sécu , n'est pas reversée. 3.5 milliards

    c, Une partie des primes d'assurances automobiles destinée à la Sécu , n'est pas reversée 1. 6 milliards

    d, La taxe sur les industries polluantes destinée à la Sécu , n'est pas reversée 1.2 milliards

    e, La part de TVA destinée à la Sécu n'est pas reversée. 2.0 milliards

    f, Retard de paiement à la Sécu pour les contrats aidés 2.1 milliards

    g, Retard de paiement par les entreprises 1.9 milliards

    En faisant une bête addition, on arrive au chiffre de 20 milliards d'euro.

    Conclusion, si les responsables de la Sécu et nos gouvernants avaient fait leur boulot efficacement et surtout honnêtement, les prétendus 11 milliards de trou seraient aujourd'hui 9 milliards d'excédent. Ces chiffres sont issus du rapport des comptes de la Sécu.

    Faites circuler ce message. A force de tourner, il arrivera peut-être un jour sur le bureau d'une tête pensante censée passer son temps à gérer l'argent des contribuables.

    Si les pouvoirs publics étaient vraiment convaincus qu'il nous faut consommer 5 fruits et légumes par jour pour sauver notre santé et donc l'assurance maladie, ils supprimeraient la TVA sur ces produits !

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  4. Dans un pays où il n'y a pas de retraites à taux pleins ni même de bonne protection sociale, il est courant de voir les personnes âgées assises ou couchées à même le sol en train de mendier leur repas. Pour ceux qui ont encore de la force, il est courant de les voir faire les poubelles à la recherche de quelques matières à recycler. Il est courant de voir des personnes handicapées amputées de bras ou de jambes se trainer dans des charrettes qui sont loin d'être des fauteuils roulants; et eux aussi mendier, car pour eux c'est difficile de trouver un emploi. Dans ce genre de pays, une opération chirurgicale coûte des milliers d'euros et les gens doivent être riches pour être soignés, car "la carte vitale" doit dépanner tout au plus de 50 euros pour l'année.
    Je vis dans un pays comme celui-là; c'est un pays dont tout le monde parle car les gros patrons français, vous savez ceux dont Sarkozy et son gouvernement de malheur prennent tellement soins, viennent y délocaliser toute leur production... et se gratifient eux-même de leur bonne action pour le développement de ce pays..
    Luttez les amis! luttez! car ces gens là du gouvernement, ils sont capables de nous renvoyer des siècles en arrière.

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  5. Et bien voilà ! “Sarko” et l’UMP ont bel et bien enterré la retraite à 60 ans. Les carburants sont dans les pompes, les trains roulent, le reste aussi ! Adieu manifs, grèves et occupations d’entreprises. Les médias restent “muets” sur le sujet. Pourtant la mobilisation “citoyenne” est intacte, nul doute que samedi sera une forte journée de mobilisation. Un Président et un gouvernement qui restent “sourd” à un mouvement social ou 71 % des Français rejettent une réforme injuste et inefficace, qui dans le même temps méprisent les Français et traitent la jeunesse en ennemie est un Président en “danger” qui perd toute légitimité.
    Jacques Reverchon

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  6. Démocratie : régime politique où un chef de l’État qui recourrait à des méthodes de basse police pour espionner des adversaires serait destitué suite au libre jeu des médias, de la justice et de l’opinion.

    "Cynique. Grossier personnage dont la vision déformée voit les choses comme elles sont, et non comme elles devraient être."
    Ambrose Bierce, le Dictionnaire du Diable

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  7. Bien vu. Au delà de la défense des intérêts catégoriels de la "France d’en haut", il y a un blocage psychologique de l’exécutif qui n’est pas sans rappeler certaines crispations sectaires graves, dans la répétition des mêmes paroles, sans écoute ni dialogue, recherche et attaques "d’ennemis", tendance paranoïaque, volonté de tout contrôler (médias, justice...), déni du réel, croyance qu’ils ont raison et que tous ceux qui pensent différemment ont tort. Il n’y a plus qu’une seule Vérité, et Gourou Sarkosy, d’abord très charismatique et porteur d’enthousiasme en début de mandat, comme tout bon gourou séducteur et manipulateur, entraine ses adeptes-ministres, aveuglés ou pieds et poings liés désormais, dans son parcours à tendance suicidaire, dans cet enfermement idéologique, dans ce clivage mental potentiellement violent du "tout ou rien". On dirait que les ministres n’ont plus de "personnalité", du moins n’osent plus l’exprimer. Puissent les français être assez sages pour ne pas être entrainés à leur tour dans cette spirale de violence mortifère, mais trouvent des idées pour résister dignement, efficacement, sans violence, avec courage et détermination. Le clivage et la violence ne mènent à rien de bon, l’ouverture et l’intelligence si !

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  8. Et un matin on se lève avec l’envie de tout faire cesser.
    Ni A, ni B, c’est la levée de tous les boucliers :
    On vient de réaliser que rien ne sert de vivre ou de mourir, si nous ne sommes pas en mesure de ré-enchanter le monde avec un plan C ! Qui n’a rien de commun avec les deux premiers.

    http://www.tueursnet.com/index.php?journal=Balle%20de%20plombes

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  9. A ceux qui peuvent encore se procurer l'Humanité de ce samedi, je conseille vivement la lecture du bloc-notes de Ducoin de ce matin : une pure merveille d'intelligence et de questionnements !!! Tous à vos kiosques encore ouverts.
    Merci(s) à DUCOIN !!!

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