mercredi 27 octobre 2010

Bête(s) : quand Angela Merkel fait du sarkozysme...

Dérives. Jusqu’alors nous n’avions jamais osé l’écrire – les circonstances nous y poussent. Depuis 2007, les occasions d’indignations anti-Nicoléon se sont tellement présentées 
à nous, que, parfois, nous avons songé à quelques phrases-chocs. Leur symbolique même, empreinte de références historiques exagérées, nous avait souvent maintenus dans 
la prudence. Mais pas toujours. Ainsi les mots « pétainisme » 
ou « dérives vichystes » ont pu, de-ci de-là, se glisser dans 
les aléas bousculés des commentaires d’une actualité brûlante et/ou nauséeuse. Un jour, n’en pouvant plus d’entendre parler « d’identité nationale », du « ministère » qui s’y rapportait, de « bons patriotes », de « valeurs chrétiennes » et autres relents maurrassiens aux échos glaçants, heurté par ce climat plus proche de l’Action française que de la République, le bloc-noteur prononça cette phrase en conférence de rédaction : « Que ne dirait-on pas si ce n’était pas la France mais l’Allemagne qui parlait ainsi ! » L’argument valait ce qu’il valait. C’était il y a un an.

Allemagne. Puisque « l’avenir est rare » et que « chaque jour qui vient n’est pas un jour qui commence », comme l’écrivait Maurice Blanchot, nous fûmes donc, cette semaine, rattrapés par la réalité. Et le coup est venu… de l’Allemagne. D’où on ne l’attendait pas. La chancelière Angela Merkel, devant les Jeunesses conservatrices des chrétiens-démocrates (tout un programme), a en effet enfoncé une barrière morale en affirmant que le modèle d’une Allemagne « Miltikulti » avait « échoué, totalement échoué ». Entendez par « Miltikulti » : multiculturelle, multireligieuse, hétérogène, tolérante, etc. Un concept qui 
a toujours servi d’élément fédérateur et presque fondateur sur 
les ruines du IIIe Reich. D’où notre malaise, notre très grand malaise, au point de considérer cet événement comme 
un moment de basculement symbolique important. Car, dans cette Allemagne toujours hantée par son passé nazi et si peu laïque que l’expression n’y a quasiment aucun sens (n’oublions jamais que la référence à « Dieu » figure dans son préambule constitutionnel), les dirigeants s’emploient d’ordinaire à manier les sujets sur les « étrangers » et les « minorités » avec une infinie prudence, et pour cause. Angela Merkel, fille de pasteur, jusque-là restée sur la réserve idéologique, a-t-elle tout fait voler en éclats ? « Nous nous sentons liés aux valeurs chrétiennes, a-t-elle ajouté. Celui qui n’accepte pas cela n’a pas sa place ici. » Traduction. « Nous » : les chrétiens. « Celui qui… » : les musulmans.

Malsain. La suspicion des « étrangers » dans la bouche de sa principale dirigeante a-t-elle sa place en Allemagne, pays où vivent quelque 4 millions de musulmans et où, voilà dix ans, l’accès au droit à la double nationalité avait bousculé le sacro-saint droit du sang germanique ? Et Angela Merkel, prise en flagrant délit de radicalisation conservatrice anti-immigration, vient-elle de rejoindre le club très fréquenté d’un populisme d’un nouveau genre à l’échelle du continent : l’ultra-libéralo-nationalisme ? Poser la question, n’est-ce pas déjà y répondre… D’autant qu’à l’origine de ce débat malsain, la lecture d’un livre, intitulé L’Allemagne court à sa perte, avait choqué de nombreux Allemands, car son auteur, Thilo Sarrazin, n’est autre qu’un des ténors du Parti social-démocrate (vous avez bien lu) et, accessoirement, l’un des membres du directoire de la Banque centrale, contraint depuis à la démission. 
Ce pamphlet aux accents xénophobes, écoulé à près de 700 000 exemplaires, dénonçait le déclin de « l’identité culturelle » allemande et « l’invasion islamique », le tout mêlé à l’une des peurs les plus enfouies dans l’inconscient du pays en ce début de XXIe siècle : le déclin démographique. De quoi frémir.

Dangers. Pour une fois qu’un sujet de consensus le rapproche de la chancelière, le national-libéral Nicoléon ne se plaindra pas de ce renfort inattendu. Depuis son discours de Grenoble et la stigmatisation infâme des Roms, qui valut à la France une mise en demeure de l’Europe, les chiens sont lâchés et, après la déchéance de la nationalité, quelques députés UMP n’hésitent pas à évoquer la suite du programme : la suppression du droit du sol ou de la double nationalité… Une enquête révélait cette semaine que 37 % des enfants de naturalisés français déclarent « ne pas se sentir reconnus comme tels ». Comment s’en étonner, quand on tient à distance le « Maghrébin » ou « l’Arabe » au point qu’à la quatrième génération on parle encore de l’« origine des beurs » ? Qu’en pense Nicoléon, pourtant fils direct de l’immigration ? « La France, tu l’aimes chrétienne ou tu la quittes ? » Ce serait donc ça, la République d’aujourd’hui ? Oublieuse qu’elle s’est aussi construite en rupture avec la France chrétienne, délivrant un message républicain universel, par-delà ses frontières et reconnu comme tel ? Et l’Europe ? « Tu l’aimes chrétienne ou tu la quittes ? » Elle aussi ? Du Nord au Sud, de l’Ouest à l’Est, la crise sociale attise la haine de l’autre. En 2010, entre 20 
et 30 % de l’électorat du Vieux Continent se déclare ouvertement opposé à la diversification culturelle. Il est un peu tôt pour (re)parler de la bête immonde, mais il est un peu tard pour totalement l’ignorer. Il n’y a pas si longtemps, nous disions, exténués et à bout d’argument : « Que ne dirait-on pas si l’Allemagne parlait ainsi ! »

[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 23 octobre 2010.]

(A plus tard...)

2 commentaires:

  1. Voilà un sujet qui fait froid dans le dos...

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  2. Merci pour l'expression "libéral-nationalisme" : c'est exactement ce que je ressents depuis des années sans avoir réussi à le formuler exactement. Sarkozy n'est pas un bonapartiste, en effet, c'est un conservateur libéral-nationaliste. Vraiment bien vu ! Je le fais savoir.
    YVES

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