mardi 22 juin 2010

Mondial : les maux Bleus

« L’esprit d’équipe ? C’est des mecs, ils sont une équipe, y a un esprit. alors ils partagent ! » Face au spectacle affligeant d’une sélection censée représenter un bout de notre héritage commun en arborant le maillot tricolore, on pourrait sans fin resservir la citation de Coluche, s’en contenter. Mais l’affaire est plus grave qu’une saillie drolatique, et l’émotion dans le pays en dit long sur l’importance que nous accordons à notre équipe frappée du coq. Á l’heure de l’hyperspectacularisation des scènes sportives, diffusées en mondovision et scénarisés à outrance, les psychodrames à rebondissements témoignent, s’il en est, du degré zéro de conscience collective de certains joueurs de Domenech, de leur incapacité notoire à s’imposer une éthique de vie.

Pourquoi la vulgarité des mots et des comportements a-t-elle pris le pouvoir au sein du groupe France, transformant une équipe sportivement crédible (si, si) en une somme d’individualités où règnent en maîtres absolus la starification, le «tout pour ma gueule», l’arrogance, le pourrissement par l’argent et même une forme de nihilisme assumé.

Universel, le football est un monde en réduction qui crée des personnages à sa démesure. Une allégorie de l’ère du temps. Un marqueur de nos sociétés. Mais le football est également une bulle capitaliste, l’un des cours névralgiques de la globalisation ultralibérale à marche forcée, d’autant plus symboliquement dangereux qu’il a valeur d’exemplarité pour les plus jeunes. Si l’immoralité et le dévoiement y ont toujours existé, chacun admettra que les lois actuelles ont donné carte blanche aux financiers, qui ne se sont pas privés pour enfoncer toutes les frontières du fric.

Accroissement des masses salariales, transferts faramineux, droits TV surréalistes, contrats d’image, mise en Bourse des grands clubs, déficits pharaoniques, appauvrissement des filières de formation dont la France s’était fait une spécialité et qui ne servent plus qu’à la fabrication « produits exportables », etc.

Nos Bleus sont-ils l’incarnation de ces dérives, du je-m’enfoutisme friqué et du « chacun pour sa gueule » ? Oui, pour beaucoup. Faut-il dénoncer les comportements des « meneurs » ? Encore oui. Pourtant, étonnons-nous que la critique légitime ait laissé la place, à l’initiative d’Alain Finkielkraut, à une offensive en règle non plus contre certains joueurs, mais contre leur origine sociale ! Une offensive minable qui, dans la bouche d’un philosophe ayant jadis regretté cette sélection trop « black, black, black », ne vise qu’à stigmatiser une fois de plus les quartiers populaires.

Éternel miroir déformé, revoilà la logique du bouc émissaire façon Sarkozy. Les Noirs et les Arabes des banlieues sont des voyous, une majorité des Bleus sont donc des voyous… Soyons clairs. Oui, nous partageons le haut-le-cour provoqué par le déferlement d’indécences et de richesses du foot, totalement soumis au monde marchand. Oui, nous sommes indignés par l’attitude de certains joueurs dont la trajectoire sociale leur est montée à la tête au point de leur faire oublier leurs racines et le sens des réalités. Mais comment accepter qu’on puisse avancer sur le terrain d’une stigmatisation de classes, pour ne pas dire « communautariste » ?

Qu’on se le dise, Anelka et Ribéry ne sont aujourd’hui pas plus représentatifs des quartiers populaires que M. Finkielkraut, qui, avec un acharnement coupable, oublie les cruautés du monde contemporain et l’atomisation sociale des quartiers dont il ne connaît rien.

En tendant un miroir sur nos Bleus, ne voit-on pas aussi l’image, hélas non déformée celle-là, d’une France bling-bling à la vulgarité crasse ? Ne voit-on pas le « casse-toi, pauvre con », les magouilles, les yachts, le Fouquet’s et la clique des puissants qui détiennent tous les pouvoirs, responsables-en-chef du cynisme que charrie notre époque ?

[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 22 juin 2010.]

(A plus tard...)

4 commentaires:

  1. BRAVO ! Enfin un édito qui ne mâche pas ses mots sur l'argent gagné à la pelle dans le mileu du sport et qui fait le lien avec la question sociale pendant qu'une très grande majorité de la population peine à joindre les deux bouts. Ce n'est pas parce que ce sont des divertissements populaires qu'on ne devrait pas s'indigner. Ça n'enlève rien au fait d'aimer le sport, bien au contraire ! L'éthique dans le sport devrait se traduire par une diminution de ces rémunérations, par une redistribution des bénéfices lors des matches, par une émulation et une pratique du sport saines et par une non marchandisation du sport. Les politiques doivent relayer ce discours, pour le sport comme pour le showbiz où on trouve "normal" de gagner tant d'argent à la pelle… À gauche, on est sensé vouloir une redistribution juste des richesses non ? Donc, ces Initiatives sont à renouveler CEDRIC REMOLINS

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  2. J'aimerai que Jean-Emmanuel Ducoin précise ce qu'il appelle "le comportement des "meneurs" qu'il dénonce. Car si c'est le fait de lancer une bordée d'injures à l'encontre d'un cadre jugé incompétent çà ne me semble pas condamnable : qui d'entre nous,sauf à être une parfaite serpillère ne l'a jamais fait…au moins entre ses dents et L'Huma ne dénonçait-elle pas voici quelque jours le licenciement d'employés "trahis" par Face Book où ils avaient exprimé de façon peu amène leur sentiment sur leurs dirigeants. Cette révolte est légitime. Et peut-on condamner la solidarité (enfin !) entre ces purs produits du capitalisme contemporains. Nous,communistes,nous joindrions nous aux tenants du système pour nous attaquer à des hommes qui font front "tous ensembles" pour exiger la réintégrations d'un des leurs et ce en dépit de ce qu'ils sont ? Pour le coup cet éditorial ,dont j'approuve l'essentiel, me semble manquer de dialectique sur le point que j'évoque.

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  3. C'est encore typique pour la France. Dans l'impasse on fait la grève. Un acte lâche. A aucun moment on se dit : "On a mal joué, mais maintenant on va montrer notre force, on va se battre". Cette équipe est construite de "prima donnas". Des individualistes égoistes qui sortent d'un systeme de "Star Academy". Pas d'éthique, pas de moral, pas de sense de la responsabilité. Trop facil de donner la faute aux encadreurs, ce sont les joueurs qui sont les seul responsables. Mais voilà, comme à la "Star Academy" dans 2 à 3 semaines on ne saura plus qui à joué dans cette équipe. Et c'est bien comme ça, car le "people" ils passent et on les oublie vite - à toujours.

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  4. Les "lesbleus" c'est NIKE ta mère , ADIDAS ton père, et REEBOCK ta soeur...
    (Nathalie de Nantes)

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