Lors de mon premier Tour, je me souviens qu’Émile Besson m’avait présenté à Pierre Chany. Résistants l’un et l’autre, l’un communiste comme moi, l’autre gaulliste, je me sentais bien au milieu de ces deux hommes, témoins d’une histoire que j’admirais au plus haut point. Leur camaraderie n’était pas du bidon. Les souvenirs du maquis dépassent toujours les contingences ordinaires.
— Salut gamin, avait dit Chany en tendant une main ferme.
— Je suis honoré, avais-je répondu sans savoir s’il s’agissait des bons mots, moi si jeune, lui si glorifié.
À mes yeux il n’y avait pas de hasard. La témérité de leurs engagements comme leur fidélité à une certaine idée de la solidarité me mettaient en joie : mon admiration envers eux n’a pas varié, bien au contraire. Le cyclisme était un joli point de raccordement, un croisement de valeurs qui dépassait le strict cadre sportif. Je n’ai jamais vu le Tour de France autrement.
En serrant la main de Pierre Chany à l’invitation d’Émile Besson, j’étais comme adoubé. Doublement adoubé par les seigneurs d’un âge d’or nourris d’esprit chevaleresque, de démesure et de simplicité. C’en était trop pour un jeune homme qui devait tout apprendre et qui n’en demandait pas tant, j’en étais conscient. Mais, en acceptant la symbolique du geste, je savais que leurs figures ne me quitteraient plus et que chaque acte témoignerait de leur présence. On appelle ça la « transmission », « la trace-sans-trace », le « passage de témoin ».
On dira que c’est la « famille », le « clan », la « mafia » ; on dira ce qu’on voudra. Ce qui comptait, pour moi, c’était de faire partie « de la » famille. Non pas « la » famille, mais « de la » famille. D’assumer au fond cette trace-sans-trace, de la prendre pour ce qu’elle était, de me l’accaparer, de la faire mienne, bref, de me rendre à l’héritage non passivement mais activement, pour l’emmener au-delà de l’héritage, dans la fidélité-infidèle. Ce qui donne vie aux idées, ce sont les actes. Eux témoignent seuls de l’héritage. Ce ne sont pas les choses qui comptent, mais l’attachement aux choses.
Chaque père doit accepter que son fils aille plus loin que lui. Chaque fils doit assumer la possibilité d’aller plus loin que son père.
A plus tard...
Pierre Chany gaulliste ??
RépondreSupprimerPourtant, dans "L'homme aux 50 Tours de France", Editions Cristel, Christophe Penot écrit: "...Il aurait tout d'un homme présentable qui ferait merveille dans une page de Morand, mais il se trouve, pour démentir ce propos, pour effrayer le bourgeois, que Pierre Chany penche plus à gauche qu'à droite. Pis ! il admet volontiers des pulsions anarchistes.."
Un peu plus loin, page 196.
"Est-ce bien résumer de dire que vous êtes un homme de gauche qui a fait carrière dans un journal de droite ?"
Chany : " C'est assez bien résumé. J'ajoute toutefois qu'en la circonstance, que ce fût la gauche ou la droite n'avait pas beaucoup d'importance, parce-que je n'ai jamais rencontré Emilien Amaury."
Bravo pour vos connaissances!!! Vous avez bien lu ce livre de l'ami Christophe Penot, qui, lui, eut la chance cotoyer de près ce grand monsieur qu'était Pierre Chany.
RépondreSupprimerEn effet, Chany a souvent penché à gauche, du moins vers certains hommes comme lui issus de la Résistance ; je peux par ailleurs témoigner personnellement que, au cours d'un repas avec Bernard Thévenet, Laurent Chasteaux (ancien journaliste à l'Humanité lui aussi) et Emile Besson, Chany fit référence à ses "valeurs d'anarchiste" à plusieurs reprises au fil de la soirée. Un anarchisme aussi proche de l'anarcho-syndicalisme que de certaines élites littéraires d'après-Guerre (Blondin, etc.).
Néanmoins, je confirme qu'il s'est souvent revendiqué "gaulliste". Un gaulliste certes atypique, mais comme certains peuvent être, parfois, des communistes atypiques...
Merci pour votre vigilance.
JED
Peut-être Chany a t'il inventé l'anarcho-gaullisme, allez savoir.
RépondreSupprimerPar contre, en tant que résistant, il n'était pas encore proche de De Gaulle.
Nouvel extrait:
"De Gaulle existait-il à vos yeux ??
Chany : A partir du moment ou nous avons reçu les parachutages, oui. Mais avant, c'est-à-dire jusqu'au début de 1944, ce n'était qu'une voix qu'on entendait à la radio. C'était un chef, mais, pour les F.T.P, il comptait beaucoup moins que Staline, et je suis d'autant plus à l'aise pour en parler que je n'étais ni communiste ni Gaulliste.
"Pour qui étiez-vous ??
Chany : Pour personne. J'ai toujours pensé que la formule "Ni Dieu ni Maître" était une bonne formule.
A l'examen, Pierre Chany avait une conception certainement assez proche - paradoxalement - de Jean Dutourd et qu'Emmanuel Legeard (qui se décrit aussi comme "anarcho-gaulliste") définit - d'après "Anarchopedia" - comme "une version gaulliste du maoïsme spontex[3] qui ne serait ni raciste ni capitaliste, mais une espèce de contrepoint à la description que Claire Brière-Blanchet fait du maoïsme spontex: « Nous n'étions pas loin de nous imaginer un Mao rebelle solitaire en symbiose avec le peuple de Chine, un Mao anarchiste !» Dans une interview de 1997, Legeard écrit: "Si vous voulez, on peut concevoir l’anarcho-gaulliste comme une espèce de « gaullien spontex », je veux dire de « mao spontex » gaulliste qui se serait représenté de Gaulle comme le premier anarchiste de France luttant contre l’Etat pour l’Ethnos, c’est-à-dire, pour reprendre les expressions de Maurras, contre le pays légal pour le pays réel, défendant personnellement les patries charnelles contre la bureaucratie, contre les délires des intellectuels et des hauts-fonctionnaires… bref comme un homme aux côtés des « vraies gens », comme on dit, et non comme un technocrate qui cherche à réduire le peuple à une abstraction statistique ou idéologique." ( https://amisdelegeard.wordpress.com/2015/09/27/anarcho-gaullisme/ * )
RépondreSupprimer* Je le mets aussi en lien web pour plus de commodité, même si je n'ai aucun rapport avec ce site (je ne l'ai découvert que la semaine dernière)