jeudi 26 novembre 2015

Urgence(s): l’Etat d’exception deviendra-t-il la norme?

Le temps politique est aux coups de menton, aux certitudes abruptes, aux tentations de l’idéologie sécuritaire, aux discours guerriers, aux ordres hurlés.
 
Libertés. Justice, démocratie, égalité: combien de temps faudra-t-il à une société comme la nôtre, traumatisée au point de perdre temporairement quelques-uns de ses repères fondamentaux, pour qu’elle reprenne souffle, passion et raison, qu’elle atténue l’ampleur d’un choc qui déborde de loin tout ce à quoi nous avions été habitués dans notre histoire contemporaine? Les répliques, individuelles et collectives, ne manqueront pas. Certaines sont déjà à l’œuvre, là sous nos yeux encore embués, devant nos corps meurtris sur lesquels pantelle une émotion pour l’heure insurmontable. Cette émotion chargée de peurs, il conviendrait pourtant de la mettre à distance, non pour la chasser –qu’y aurait-il à oublier?– mais bien pour la déconstruire et la transformer en une force ferme sur ses principes. Depuis deux semaines, nous ne vivons que par l’entremise d’une double injonction dont on voudrait nous faire croire qu’il est un horizon indépassable: la guerre et l’état d’urgence. Traduction: l’esprit de vengeance et des libertés amoindries. Dans les deux cas, le temps politique est aux coups de menton, aux claquements de talons, aux certitudes abruptes, aux tentations de l’idéologie sécuritaire, aux discours guerriers, aux ordres hurlés. Les sondages réalisés au paroxysme de notre trouble prolifèrent. L’exécutif a calé sa ligne sur eux. Et après?
 
Démocratie. Vu les circonstances, le combat contre l’horreur constituée en proto-État par Daech doit prendre une forme militaire. Ceux qui pensent le contraire se bercent d’illusions. Néanmoins, le danger est grand d’en rester là. Normal Ier parle d’«état de guerre».

mardi 24 novembre 2015

Et surtout ? Résister !

En ces temps de choc inouï et durablement éprouvant, une priorité s’impose: convoquer l’intelligence civique et citoyenne, rassembler les énergies vitales et les consciences disponibles, qui ne manquent pas.
 
Voici l’heure venue des résistances, à commencer par la plus lucide, la résistance au simplisme. L’enjeu du moment ressemble à une sommation himalayenne: comment mener à terme la campagne des élections régionales sans se laisser gagner ni par une forme de découragement devant la teneur des principaux débats publics, ni par une compréhensible apathie liée au traumatisme lui-même et à ses conséquence? Depuis les attentats, le meilleur et surtout le pire occupent l’espace médiatico-politique. C’était hélas prévisible; nous n’en sommes pas moins atterrés. Le maintien du scrutin, les 6 et 13 décembre, fut un acte d’affirmation démocratique – qu’aurions-nous écrit dans le cas contraire? Mais le défi pour les candidats relève sinon de l’impossible, du moins de l’improbable. Nous évoquons là bien sûr les candidats de nos cœurs, ceux qui, malgré des circonstances terribles, ne lâchent rien sur le fond et revendiquent partout des idées de progrès, de solidarité, d’humanité, une exigence rendue difficile qui nécessite de s’adapter à la nouvelle situation.

vendredi 20 novembre 2015

Coexistence(s): jour d'après...

A Paris puis Saint-Denis, ballade en ville où ce n’est pas la menace qui menace mais la vie ensemble 
qui aide 
à vivre.

Minute de silence...
Paris. Les jours d’après disent toujours quelque chose de l’état d’une société, quels que soient son propre point de vue et les tentatives de mise en forme d’idées confusément exprimables par sale temps. Ce soir-là, dans les rues de Paris, moins de vingt-quatre heures après les attentats, toute déambulation vaut résistance. Entre République et le boulevard Voltaire, les allusions de grandes durées remontent rarement au-delà de quelques heures, toutes atrophiées à la mémoire morte. Sur le trottoir, deux passants se hâtent. L’un dit: «Ils ont aussi voulu tuer la ville.» L’autre ajoute: «Dans ce monde-ci, perdre son innocence n’est plus un choix mais une quête imposée, une obligation d’avant-garde.» À cent mètres du Bataclan, un attroupement minimaliste se fige dans un calme crépusculaire en épousant les formes d’une veillée funèbre préparée de longue date – ce n’est rien qu’imprévu. Les silences résonnent comme des prises de position. Puis les paroles enfin émises bruissent comme de longs sanglots muets que rien alentour ne semble perturber, autre que l’écho lancinant de ces voix d’outre-tombe et le passage irrégulier de véhicules officiels. Une septuagénaire aux yeux embués: «Je peux vous prendre par la main?» Aucune peur à signaler, juste l’envie, incongrue peut-être, de tenir quelqu’un, de ne pas lâcher le fil d’Ariane, de maintenir les pulsations du cœur un peu au-dessus du niveau de l’amer.

mercredi 18 novembre 2015

Terrorisme: quel combat ?

Il serait insensé que ce combat continue de se structurer en «état de guerre» et en «guerre des civilisations», avec son corollaire atlantiste.

«Il faut un rassemblement de tous ceux qui peuvent réellement lutter contre cette armée terroriste.» Il aura donc fallu 129 morts, des dizaines de blessés dont beaucoup risquent encore de perdre la vie, et un pays sous le choc d’un événement charnière et constitutif de notre histoire contemporaine pour que François Hollande réfléchisse à un autre paradigme et annonce, enfin, devant le Congrès réuni à Versailles, une sorte d’aggiornamento que l’on espère significatif. Le chef de l’État est pourtant loin du compte et de la raison, comme en attestent les frappes aériennes qui, depuis soixante-douze heures, ponctuent les nuits de l’engagement militaire en Syrie et sont la marque, de toute évidence, d’une incitation à l’escalade. François Hollande comme la plupart des «grands» dirigeants du monde, d’ailleurs, refusent pour l’instant de répondre à la seule question qui devrait les hanter et dicter leurs actes comme leurs commandements : convient-il de gagner «la guerre» ou de contribuer à y mettre fin? Nous parlons, bien sûr, du conflit en Syrie, que les grandes puissances ont laissé prospérer sur les ruines d’une autre guerre, celle d’Irak, dont le règlement tronqué, après des années d’occupation états-unienne, ne s’est soldé que par le chaos et la déstabilisation de toute la région.

vendredi 13 novembre 2015

Irreprésentable(s): Auschwitz sur grand écran...

La Shoah 
en images 
et en son: il y aura un avant 
et un après 
le ''Fils de Saul'', du réalisateur hongrois Laszlo Nemes.

 
Auschwitz. Une histoire peut-elle redonner sens à l’homme lui-même? Une fiction peut-elle sacraliser de nouveau des gestes qui, dans la nuit, ignoreraient le jour et témoigneraient de la vie contre la mort en filmant le non-filmable et en suggérant, par l’image et le son, ce qui ne saurait l’être? Allez voir le "Fils de Saul", le premier long métrage du Hongrois Laszlo Nemes, et après la projection, bouleversante et éprouvante, un flot d’interrogations philosophiques et métaphysiques vous submergera et repoussera les barrières de l’émotion jusqu’aux frontières de la compréhension. Durant près de deux heures, la caméra du réalisateur ne quitte jamais le héros, Saul, qui n’est déjà plus, lui aussi, qu’un mort-vivant. Une caméra accrochée à son regard, attachée à son corps filmé souvent de dos, liée à sa course folle dans un bain sonore qui défie sans cesse le silence de l’indicible et de la sidération. Cette caméra épouse perpétuellement les mouvements de survie de son personnage. Cette caméra filme en format carré, comme au temps du muet, un procédé sans lequel la puissance narrative se serait probablement transformée en spectacle à la Spielberg ou à la Benigni: imagine-t-on Auschwitz-Birkenau en 16/9?

jeudi 5 novembre 2015

Historiograhique(s): republier Mein Kampf... ou pas?

Rééditer le livre d'Hitler, avec les précautions d’usage, oui, pourquoi pas, en tant que travail de mémoire. Mais pourquoi? Et comment?

Hitler. Ne nous effrayons pas des débats d’idées qui, quelquefois, fractionnent et dispersent, mais qui, la plupart du temps, aident les hommes à réfléchir, à questionner, à inventorier et, pourquoi pas, à prendre position grâce à des éléments auxquels ils n’avaient pas forcément songé auparavant. Ainsi en est-il de la polémique sur une éventuelle future publication, en France, de Mein Kampf, le livre antisémite d’Adolf Hitler, le seul qu’il ait jamais signé de son nom. D’où la question, qui ne date pas d’aujourd’hui: faut-il oui ou non publier ce texte confus, harassant et surtout sinistre, qui, de toute façon, tombera dans le domaine public en janvier 2016, soixante-dix ans après la mort de l’auteur, conformément à la loi? Formulée autrement: est-il nécessaire de republier ce livre, et si oui, à quelles conditions? La loi française est formelle et interdit toute publication dudit texte, donc légitimement condamnable par les tribunaux, s’il redevient un instrument de propagande, autrement dit s’il est publié tel quel, sans notes ni avertissement. Jean-Luc Mélenchon a été le premier à interpeller les éditions Fayard (elles ont publié son avant-dernier livre, l’Ère du peuple, 2014), qui ont mis en chantier un tel projet. Pas n’importe quel projet, bien sûr: il s’agirait de republier Mein Kampf d’ici un an ou deux, augmenté de 2000 pages de notes et de travail scientifique rédigés par des historiens.

mercredi 4 novembre 2015

Faire barrage à la Commission, qui s'attaque à EDF

Privatisez! Privatisez! Car, voyez-vous, le marché national des barrages est juteux, près de 2,5 milliards d’euros d’excédents par an.
 
Les rapports de la Commission européenne sont souvent des sommets de cynisme à usage libéral. L’un des derniers en date, que l’Humanité s’est procuré en exclusivité, a la saveur d’un scandale éhonté et toute l’apparence d’un cheval de Troie supplémentaire… Une soixantaine de pages adressées au gouvernement français dans lesquelles les proconsuls de Bruxelles somment la France de libéraliser les concessions hydroélectriques. Pas de quoi fouetter un chat, penseraient beaucoup de candides. Sauf à y regarder de plus près. Car les fameuses concessions hydroélectriques, autrement dit les barrages qui constituent ça et là des éléments de décor de nos territoires, sont confiées pour l’essentiel à l’opérateur national, EDF. La Commission n’y va pas par quatre chemins: au nom de la sacro-sainte «concurrence libre et non faussée» –qui n’est qu’une concurrence non libre et faussée–, les autorités françaises disposent de deux mois pour lancer la mise en vente desdites concessions! En 2010, Sarkozy et Fillon s’y étaient engagés; Hollande et Valls n’ont depuis rien changé. Comble de l’ironie, EDF ne pourrait même plus participer aux futurs appels d’offres…