dimanche 27 octobre 2013

Image(s): apprendre à voir, par Régis Debray

Dans son dernier livre, "Le stupéfiant image", le philosophe et médiologue nous invite à un apprentissage du regard. Pour mieux comprendre l'histoire, la politique, l'art...

Debray. En ces temps d’images subies à profusion, sans filtre ni raison, ni exégèse sauf celle non dite de la domination du monde-marchand comme valeur suprême, il n’était pas inutile de tenter de « réconcilier nos manières de dire avec nos manières de voir » (dixit) en nous plongeant dans le dernier livre de Régis Debray, "Le stupéfiant image" (Gallimard), un recueil d’articles, de conférences et autres préfaces écrits par le philosophe et médiologue ces dernières décennies. Le trait commun à tous ces textes? L’apprentissage du regard comme exercice d’élévation intellectuelle. «Etre sensible aux images ne va pas sans perte», prévient l’auteur, avant de nous inviter à réfléchir aux éventuelles passerelles entre les origines de l’art et les traditions visuelles contemporaines. De la grotte Chauvet au cinéma, de l’apparence désincarnée de nos billets en euros à l’icône Gérard Philipe, en passant par les artistes d’ici-et-maintenant que sont Matta, Ernest Pignon-Ernest ou Gérard Fromanger, le philosophe détaille son propre parcours initiatique afin de réinitialiser des «images initiatrices défraîchies, mais vivaces», dont nous restons les débiteurs et qu’«il nous faut honorer, comme on honore une belle femme, un grand ancien et une rock-star, tout cela mêlé». Comment y parvenir? «En retournant Godard, qui veut des images claires sur des idées confuses.»

jeudi 24 octobre 2013

Citoyen(s): face à la menace du Front nationaliste

N’avons-nous pas un peu trop délaissée la question de la nation, au point de nous apercevoir, un beau matin, qu’on nous avait volé 
le bonnet phrygien?

Piège. L’idée est en vogue. Au prétexte que «trente ans 
de diabolisation» n’ont rien changé et qu’il convient 
de constater «l’impasse de l’antifascisme contemporain» 
qui n’aurait plus lieu d’être, il faudrait «traiter normalement» le Front nationaliste de Fifille-la-voilà. Comme pris de panique après la victoire dans le canton de Brignoles, chacun y va 
de son commentaire pour dire la gravité de la situation – 
ne la sous-estimons pas – et réfléchir à une stratégie face au piège tendu par l’héritière de Papa-nous-voilà. Un piège qui tient en trois phases, qu’il n’est pas inutile de rappeler sommairement pour en comprendre à la fois la simplicité et, si l’on peut dire, l’efficacité. Primo. Dans sa volonté de revendiquer une «conception gaullienne de la politique» (dixit), la patronne 
de l’extrême droite tente de transformer le FN en un parti populiste, comme beaucoup prospèrent un peu partout 
en Europe, avec pour conception «l’État fort» et à terme une prise de pouvoir. Secundo. Elle explique à qui veut l’entendre qu’elle s’est écartée du credo libéral au profit d’un réquisitoire attrape-tout contre la mondialisation et l’Europe de Bruxelles, coupables d’austérité sociale, et contre lesquelles il n’y aurait que deux solutions, la sortie de la zone euro et la fermeture 
des frontières. Tertio. Le procès de l’immigration, renforcé par 
les accusations récurrentes de menace islamique, est désormais placé sous le symbole de la laïcité, qu’elle cite à tout va.

Choix. Entendons-nous bien. En apparence, le Front nationaliste joue le jeu de la démocratie électorale par temps de démagogues. Et pourtant. Si Fifille-la-voilà refuse l’étiquette d’extrême droite, et plus encore celle de fasciste, elle prépare l’opinion à accepter un processus de solutions qui tournent le dos à la démocratie et visent à rompre le pacte républicain – du moins ce qu’il en reste.

mardi 22 octobre 2013

Albert Bourlon, une certaine idée du cyclisme

L’ancien coureur s’est éteint à l’âge de 96 ans. Ce communiste de toujours, compagnon de route de Vietto, détient aujourd’hui encore le record de la plus longue échappée dans le Tour. 
Victime de l’étirement du temps, le nom d’Albert Bourlon n’était plus familier du grand public, sans doute même des lecteurs de l’Humanité. Et pourtant. En apprenant le décès du Berrichon, en fin de semaine dernière, le mot «légende» a immédiatement arraisonné notre esprit, comme l’évidence d’avoir entretenu avec lui, par-delà le XXe siècle, une sorte de camaraderie si fraternelle qu’elle aurait pu s’apparenter à une paternité cycliste totalement assumée. Et à plus d’un titre. Mort à 96 ans, doyen des cyclistes ayant participé à la Grande Boucle, Albert Bourlon avait retroussé la légende sportive dans le Tour 1947, un 11 juillet, entre Carcassonne et Luchon, après une victoire d’étape et un exploit en solitaire qui restera à jamais écrit en lettres d’or dans le grand livre des Illustres. Avec son maillot de l’équipe du Centre-Ouest sur le dos, ce natif de Sancergues, dans le Cher, avait profité d’une prime proche du départ de l’étape pour filer sans sommation et franchir la ligne d’arrivée, 253 kilomètres plus loin, seul au monde. Personne n’a fait mieux depuis. Au terme de sa fugue, Albert avait lancé aux commissaires de l’épreuve: «Vous m’avez vu cette fois?» Deux jours plus tôt, il avait été oublié dans le classement de l’étape et il avait dû porter réclamation. Cette fois, il avait même eu le temps de se doucher avant d’accueillir le peloton en héros (1). La poésie cycliste navigue décidément sur nos arrières, quelque part entre la mémoire et l’épaisseur du passé…

jeudi 17 octobre 2013

Manuel Valls: le trop déjà trop...

Besson et Hortefeux ont trouvé leur successeur en indignité. Il s’appelle Manuel Valls. Mais que fait-il encore place Beauvau?

Les heures de grandes trahisons en disent toujours autant sur ceux qui les assument que sur le moment où elles sont commises. Un jour sans doute, dans les futurs manuels de science politique, des historiens s’interrogeront pour savoir comment des élus socialistes et ministres socialistes soutenus par un président socialiste ont pu à ce point mépriser les plus démunis à l’instar des plus droitistes sarkozystes et se revendiquer encore de Jaurès, la main sur le cœur et l’écharpe rouge en bandoulière… En politique il n’y a jamais de hasard. Les conditions d’expulsion de Leonarda, cette collégienne rom du Doubs soustraite de force à une sortie scolaire, ont quelque chose d’ignoble qui illustre, mieux que toute considération philosophique, la pourriture du climat actuel et l’état de détérioration du minimum de valeurs requises pour se prétendre acteur – et défenseur qui plus est – du Pacte républicain en tant qu’idéal majuscule.


vendredi 11 octobre 2013

Théâtre(s): Chéreau ou La solitude des champs de coton...

Comment rendre le choc (et le bonheur absolu) que fut la vision d'une représentation de cette pièce, en 1995?
1995: Patrice Chéreau et Pascal Greggory.
Chéreau. C’était en 1995, au cœur de l’hiver. Le futur bloc-noteur débarquait tout juste de Roissy, valise en main, 
la tête ailleurs, avec cette curieuse impression de ne pas avoir quitté New York. La veille encore, par moins quinze degrés, 
en compagnie d’un ami, nous avions arpenté la 44e Rue en long et en large, avant d’oser pousser la porte de l’Actors Studio munis de notre carte de presse tricolore, tremblant de froid et d’émotion. Il faut dire qu’en ce temps-là nous fréquentions assidûment les arcanes des principaux théâtres de la couronne parisienne. De Chaillot au Français, du TNP aux Amandiers, la passion (vécue comme une forme collective d’initiation personnelle) consistait alors à traquer les moindres gestes des Antoine Vitez, Roger Planchon, Gérard Desarthe ou Dominique Blanc (tant d’autres), à ne rien manquer des productions scéniques, quitte à éteindre les derniers feux de notre formation classique, passant des heures à se disputer la légitimité d’en parler entre nous. Dans cette espèce d’entêtement qui nous lie aux textes et à leurs représentations vivantes, chaque nouvelle mise en scène de Patrice Chéreau se fêtait avant l’heure, dates de rigueur cochées dans le calendrier bien à l’avance ; rien 
au monde, pas même une demi-journée d’avion dans la vue, 
ne nous aurait empêchés de manquer une représentation. 
Voilà comment le chronicœur se retrouva un soir d’hiver à Ivry-sur-Seine, à la Manufacture des œillets, pour assister à l’un des chocs théâtraux de son existence – et c’est peu dire.

Dealer. Chéreau reprenait "Dans la solitude des champs de coton", de Bernard-Marie Koltès, pièce qu’il avait montée en 1987, avec Laurent Malet et Isaac de Bankolé. Une forme d’hommage à l’auteur disparu pour lequel il vouait une véritable passion. 


vendredi 4 octobre 2013

Honneur(s): quand certains maîtres nous font honte...

Marcel Gauchet tente de nous expliquer la "stratégie" de Normal Ier. Plantu passe les bornes. Drôle de semaine...

Singer. Vous avez remarqué? Le bombement de torse devient donc la chose du monde la mieux répandue. À qui parlera le plus et souvent le plus fort (c’est mécanique). L’éloge du silence –en gage au moins de réflexion avant action– devrait être décrété comme sauf-conduit de l’époque, mais qu’y pouvons-nous, quand plus personne ou presque ne croit ni ne pense à la chute comme possibilité, acceptant comme acquise la liquidation du mea culpa en tant que mode d’existence quotidienne par laquelle tout se vaut et tout se perd à la mesure du vertigineux présentisme. Narcissisme autorisé à tous les étages. Bien-être autocentré. Paroles en vrac quasi mythifiées. Experts en surpuissance fantasmée... Avant de singer ce que nous ne sommes pas, chacun devrait se rappeler la prophétie de Régis Debray: «Tout grand homme meurt deux fois, une fois comme homme, une fois comme grand.»
 

Maître. Où l’on reparle de la «cohérence» de la politique de Normal Ier. Cette fois, pour y voir plus clair (sic), Marcel Gauchet a été interrogé par Marianne. La lecture attentive de cet entretien nous en dit long sur la période que nous traversons. Pour le philosophe et historien, directeur d’études à l’EHESS et patron de la revue le Débat, il est une vérité bonne à dire: «Sur le fond, je serais tenté de penser que le chef de l’État sait où il est contraint d’aller, mais qu’il a d’autant moins envie de nous le dire qu’il ne trouve pas cette direction exaltante et qu’il essaie de sauver ce qui peut l’être à l’intérieur de cette ligne imposée.» Vous suivez le raisonnement? 

mercredi 2 octobre 2013

Nos territoires ne sont pas à vendre!

L’objectif de « métropole intégrée » du gouvernement Ayrault s’inscrit dans la continuité du sarkozysme.

Dans l’agenda de nos effrois, 
les catastrophes institutionnelles prévisibles passent souvent au second rang. Grave erreur: elles donnent toujours lieu à maints retours d’expérience – regardez le quinquennat, par exemple – et il n’est jamais trop tard pour mettre en garde les citoyens face à des dangers tels qu’ils pourraient atteindre la République en son cœur. Prenons donc la mesure de ce à quoi tente de nous préparer le gouvernement avec son projet de loi dit «d’affirmation des métropoles», voté en juillet dernier à l’Assemblée nationale et qui arrive en débat à partir d’aujourd’hui au Sénat. Ce texte, adopté il y a deux mois avec les seules voix du groupe socialiste, est non seulement le fruit d’un putsch parlementaire, mais il constitue aussi un véritable big-bang institutionnel souhaité en son temps par… Sarkozy en personne!