lundi 31 octobre 2011

Kadhafi(s): que faut-il retenir d'une exécution sommaire ?

Le voilà donc le nouveau visage de la « Libye libre » surgissant d’une intervention de type néocolonial...

Barbares. Un lynchage. Du sang. Une exécution sommaire… Vous aussi, vous êtes restés confondus devant les images de «l’interpellation» à Syrte du «guide» libyen, éprouvant tout au fond de vous ce mélange d’émotions qui témoigne, ça et là, de l’ambivalence de nos caractères de citoyens engagés? Comment s’émouvoir en effet de la mort de Kadhafi. Et comment ne pas éprouver un minimum de compassion devant la puissance des peuples quand ils se dressent et renversent l’ordre établi. Seulement voilà, n’en déplaise à Nicoléon et Bernard Henri Lévy, Kadhafi n’est pas Louis XVI et la Lybie n’est pas la France de la Révolution, celle de la Déclaration des Droits de l’homme et du Citoyen. Pour s’en convaincre, sans doute suffisait-il de regarder en boucle le fameux plan séquence du colonel arrêté avant mise à mort. Qu’y vit-on précisément? Qui dirigea qui, dans cette scène vox populi ponctuée par le fracas d’armes automatiques et de cris? S’agissait-il de soldats? De civils? De miliciens? Avaient-ils des ordres? Etaient-ils livrés à eux-mêmes, ivres de furie?

Photo. Avez-vous vu comme nous l’odieuse et implacable interprétation libre et furieuse d’une mise à mort peu conforme à l’idée que nous nous faisons du Droit en ce début de XXIe siècle? Qu’y voir d’autre, sinon la stricte réalité: celle d’un homme sans défense lynché par des barbares? Même les hurlements de joie, accompagnant les fragments d’un corps traîné à même le sol, avaient de quoi nous glacer l’âme. Qui filma ces images? Comment les médias se les sont-ils procuré? Certains ont-ils monnayé pour leur diffusion, ajoutant une valeur marchande à un document que l’histoire n’oubliera pas de sitôt? Sachez-le, non seulement nous ne pouvons répondre à toutes ces questions, mais, même à l’Humanité, un débat entre nous s’est engagé il y a quelques jours concernant une photographie publiée dans nos colonnes au lendemain de la mort de Kadhafi. Un gros plan un peu flou, celui du visage ensanglanté d’un ex-dictateur exhibé tel un trophée. Une photo «choquante» pour plusieurs de nos lecteurs, démonstration comme une autre de ce spectacle de sauvagerie auquel nous avons tous été confrontés. Le sanguinaire y devenait sanguinolent, forcément «humain». Etait-il seulement envisageable de ne pas publier cette image, preuve que le tueur venait d’être lâchement tué? Poser la question n’est pas une manière d’y répondre, mais verbalise une sincère interrogation…

Guerre. Le voilà donc le nouveau visage de la «Libye libre» surgissant d’une intervention de type néocolonial? La voilà donc la « future espérance démocratique », rétablissant charia et polygamie, aidée par la propagande mensongère des chefs d’État occidentaux, de l’ONU, de l’OTAN, de l’immense majorité des responsables politiques comme des dirigeants militaro-industriels, tous partisans des «guerres justes»? Ne cherchez pas pourquoi tous ces braves gens redoutaient tant une arrestation en «règle» et l’organisation d’un grand procès du tyran. Réduit au silence, comment juger un homme, ses pratiques, ses meurtres, comment comprendre l’ampleur de la compromission des occidentaux durant des décennies, comment analyser, comment en tirer les leçons? C’est toujours la même histoire. En notre nom (et de nos « valeurs de justice »), nous avons attaqué, bombardé et écrasé avec des pluies de missiles guidés la Bosnie serbe (1995), la Serbie (1999), l’Irak (1991 et 2003), l’Afghanistan (2001) et la Libye (2011). Les populations iraient mieux – et le monde avec. Quel bilan? Quel vertu «pédagogique», puisque personne ne rend des comptes, ni les «coupables», ni ceux qui les ont mis au banc des nations après avoir commercé avec eux, après les avoir armés? Milosevic? Mort dans sa prison. Saddam Hussein? Pendu sitôt arrêté. Ben Laden? Liquidé par les forces spéciales et largué en pleine mer. Kadhafi? Lynché par la foule et déjà inhumé dans le désert. Les tyrans et autres terroristes avaient manifestement des choses à dire. Mais les accusateurs n’avaient aucun intérêt à ce qu’elles soient dites.

Barbarie. Le saviez-vous? Jusqu’au XIXe siècle, la «barbarie» était le nom utilisé pour distinguer, entre autres, le littoral de la Libye. Depuis une semaine, l’expression surannée s’est en quelque sorte ré-territorialisée par la diffusion d’une ultime séquence vécue en mondovision, d’où ne ressort rien d’autre qu’une spectaculaire barbarie que certains s’obligent à désigner «d’un autre temps», mais qui, chacun l’ayant vue, reste très actuelle. L’acharnement des foules fanatisées n’a ni époque ni frontière. Et les tyrans n’en sont pas les seules «victimes».

[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 28 octobre 2011.]

(A plus tard...)

vendredi 28 octobre 2011

Tunisie : quelques mots concernant le processus démocratique...

La victoire d’Ennahda doit-elle jeter un trouble sur la transition parlementaire tunisienne ?

D’abord, une évidence. Alors que la Tunisie vient de franchir une étape majeure dans l’élaboration de sa propre histoire émancipatrice, comment ne pas saluer la réussite du processus électoral? Et comment ne pas reconnaître que ces élections, par leur ampleur, qui dépasse toutes les espérances, scellent une victoire pour la démocratie tunisienne que peu d’observateurs occidentaux croyaient possible? Dans le calme, avec fierté, les Tunisiens ont ainsi célébré leur toute première élection libre, signant d’une empreinte bleutée un acte politique majeur qui, espérons-le, se traduira un jour ou l’autre par la construction d’une nouvelle Tunisie authentiquement populaire – fruit de leur révolution.

Les 90% des électeurs potentiels qui se sont déplacés sont autant de symboles de la soif de démocratie et de la vitalité de ce peuple. Depuis l’éclosion des printemps arabes, la Tunisie aura ainsi impulsé le tempo de la révolte, jusqu’à imprimer sa marque démocratique, dont l’écho, assurément, se fera sentir sur tout le pourtour méditerranéen. Avec cette envie de liberté et de justice sociale, dans un pays où le taux de chômage atteint les 20%, avec cette volonté d’en finir avec un système corrompu, l’élan ne pouvait être que massif dans cette phase transitoire de l’Assemblée constituante. Comme une manière d’honorer la mémoire de Mohamed Bouazizi, suicidé par le feu pour protester contre la police qui l’empêchait d’exercer un commerce ambulant. Les jeunes révoltés, en masse, avaient pris la relève pour en finir avec le pillage des richesses organisé par le clan Ben Ali-Trabelsi, sous le regard complice de la France de Sarkozy... Les Tunisiens, alors frappés dans leurs chairs, ne sont pas près d’oublier l’attitude cynique des dirigeants français, et singulièrement de Michèle Alliot-Marie, ministre des Affaires étrangères, tellement aveuglée par sa croyance d’un Ben Ali éternel qu’elle avait proposé le «savoir-faire de nos forces de sécurité» pour aider la dictature!

N’en déplaise à certains, c’est aujourd’hui un peuple souverain qui s’est exprimé. Et cette affirmation fondamentale ne nous empêche pas de nous interroger sur les résultats de ce vote. Que retiendra d’ailleurs l’Histoire, avec la majuscule qui sied à sa trace? La date du 14 janvier 2011, jour où Ben Ali fut chassé du pouvoir? Ou le 23 octobre 2011, jour de premier scrutin censé marquer l’an I de la révolution tunisienne? Posons la question autrement : malgré l’émergence d’une opposition assez forte, la victoire d’Ennahda, le parti islamiste, doit-elle jeter un trouble sur la transition parlementaire, puisque l’Assemblée élue sera chargée de l’élaboration de la nouvelle Constitution? Alors que la charia vient d’être brutalement adoptée en Libye, chacun voit bien le danger que peut représenter un groupe parlementaire islamiste tout-puissant, même si les responsables d’Ennahda ont pris soin de se désolidariser des récentes exactions de mouvements islamistes, comme les salafistes. «Ne pas donner sa voix à un candidat tunisien de l’islam est un péché», a pourtant déclaré Youssef Al Qaradawi, le prédicateur cheikh, qui, depuis le Qatar, soutient Ennahda par la grâce de ses capitaux… Ne dit-on pas que les affairistes recyclés du RDC d’hier seraient prêts à s’allier avec les parlementaires islamistes? Le néolibéralisme d’un côté, la religion de l’autre...
Il faudra manifestement du temps – et de la solidarité internationale – pour bâtir un État de droit dans la justice et l’égalité. Un nombre croissant de citoyens pensent qu’ils doivent désormais assumer le principe d’une séparation du politique et du religieux, condition indispensable pour que le monde arabe (re)devienne le creuset d’une nouvelle modernité. Sur le terreau des dictatures, l’idée reste pour l’heure minoritaire.

[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 25 octobre 2011.]

(A plus tard...)

vendredi 21 octobre 2011

Malentendu(s) : à propos de la victoire de François Hollande...

Le «rêve français» du futur candidat socialiste consiste-t-il à accompagner le pays dans son lent et progressif déclin?

Hollande. En cultivant avec bonhomie la lenteur dans l’ascension, un peu contre l’époque, François Hollande s’est-il déjà interrogé sur son propre rapport au temps ? Au royaume de maître lapin et du zapping informationnel généralisé où la prise de décision se doit d’être quasi instantanée, le futur candidat socialiste à la présidentielle apparaît comme une incongruité, une faute de casting, phénomène d’autant plus ressenti que lui-même entretient le doute, depuis toujours. En 1984, lorsqu’il cosigne une tribune dans le Monde intitulée «Pour être modernes, soyons démocrates», ce qui résume assez l’ambition de ce socialiste coincé entre Mitterrand, Rocard et Delors, le jeune Hollande ne comprend déjà pas que le tournant de la rigueur assumé par son parti vient d’anéantir, pour le «peuple de gauche», des années d’espérance et d’engagements. Jamais par la suite François Hollande ne dérogera à cette stratégie, maintenant sa ligne d’Européen social-démocrate, heureux dans l’unité, en permanence à la recherche d’un dénominateur commun – souvent le plus petit.

Centriste. Curieux moment. Et curieux socialistes. L’expérience sondagiaire de 2007 (et autres) n’aura donc servi à rien. Souvenons-nous de la théorie ânonnée sur tous les tons durant des mois : «Ségolène Royal est la seule à pouvoir battre Nicolas Sarkozy.» L’impression de revivre le même film ? Crédité depuis quelques jours d’intentions de vote au premier tour qui atteignent le zénith (jusqu’à 38% !), François Hollande singe l’Édouard Balladur de 1995. Et si la comparaison ne s’arrêtait pas là ? Strauss-kahnisé dès le retrait de qui vous savez (il avait suffi de cinq jours après la sidération provoquée par l’affaire du Sofitel pour qu’un premier sondage permette au vide d’être comblé), le président du conseil général de Corrèze peut-il se balladuriser, comme certains socialistes, en coulisses, l’annoncent déjà ? Pour étayer leur théorie de «l’effondrement programmé», ces amis de trente ans évoquent un «professionnel du consensus» certes «habile à produire de la synthèse» mais surtout «attentif à ne pas brutaliser le système», bref, un «candidat centriste». L’un d’eux nous avouant : «François a d’ailleurs fondé avec quelques amis les “transcourants”, dont on sait qu’ils vont toujours quelque part sans jamais savoir où… Sa capacité à être d’accord avec tout 
le monde est un atout, seulement quand tout va bien.»

Rêve. Avec le promoteur de la «présidence normale», alias «Flanby» ou «gauche molle», il y aurait donc comme un malentendu ? Comme il y aurait un malentendu avec la gauche dite «de gauche»? Enfant d’HEC et de l’ENA, dont il a gardé l’aisance intellectuelle et l’art démonstratif de la rhétorique, emphatique et léger, sérieux et drolatique, le Normand l’avoue : «Les défauts qu’on me prête sont autant de qualités et d’atouts.» Il parle évidemment de l’époque qui est la nôtre. Celle dont on dit qu’elle aurait besoin de «tranquillité»… Arrêtons-nous un instant sur cette idée. Quels étaient jadis les modèles qui sublimaient l’universelle voracité des rêveurs ? Le saint, le sage, le chevalier, le gentilhomme, l’artiste, le savant, le chercheur d’or, le missionnaire, le révolutionnaire, etc.? Tous reposeraient désormais au musée des souvenirs ? À la rigueur pourrions-nous encore les admirer, mais surtout plus nous en inspirer. Miser sa vie au capital de nos idéaux, dire banco à chaque levée, renverser les tables n’auraient plus cours à l’heure du grand casino mondial et de l’austérité hygiéniste ? Depuis des années, on nous sert comme modèle le financier, le golden boy, le publicitaire et le pitre télévisuel pour lesquels «la réussite» s’autolégitime. Quand le pauvre ne croit qu’à la loi des riches, le mimétisme n’a-t-il pas trop fabriqué de fauves ?

Temps. Les Français ont-ils besoin d’être «rassurés»? Osons le dire autrement. Le «n’importe qui sauf Sarkozy» peut-il constituer sinon un programme du moins une feuille de route pour le printemps 2012? Le peuple de gauche peut-il s’entendre dire pour tout argument que, cette fois, «les socialistes veulent vraiment le pouvoir»? Ce peuple en souffrance se contentera-t-il passivement d’un débat entre partisans de l’austérité et de la superaustérité : «Je suis le plus crédible pour gérer la dette»? Si le «rêve français» de Hollande consiste à accompagner le pays dans son lent et progressif déclin, attendons-nous à quelques jacqueries… Les socialistes semblent heureux. Ils ont un candidat, qui, de son propre aveu, n’a jamais pris qu’«une seule décision d’autorité». C’était en 2004, quand il décida d’appeler à voter «oui» au référendum sur la constitution, avant de poser en une de Paris Match à côté de Nicoléon. On sait ce qu’il advint. En peu de temps.

[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 21 octobre 2011.]

(A plus tard...)

jeudi 20 octobre 2011

Les fonctionnaires, premières victimes des agences de notation ?

Les premières cibles des plans d’austérité sont les fonctionnaires, puis le peuple dans son ensemble...

Quelques jours à peine après la primaire socialiste, se tient un scrutin dont les médias parlent peu. Pourtant, ce vote concerne près de 3 millions de fonctionnaires,
des enseignants de l’éducation nationale aux infirmières des hôpitaux, en passant par les postiers, les magistrats, les contrôleurs du fisc et même les chercheurs du CNRS… Inutile de dire que le contexte d’atomisation sociale risque de peser très lourd. Originellement, la notion même de service public constitue l’un des remparts essentiels de la République contre le «chacun pour soi», les inégalités, les divisions. Seulement voilà, au royaume de la prospérité pour les financiers et de l’austérité pour les salariés, les valeurs constitutives du bien commun sont progressivement jetées aux orties. Les logiques budgétaires pèsent de manière disproportionnée sur la définition des missions de l’État.

Alors que la paupérisation de la population augmente à une vitesse exponentielle et que les services publics, au sens large, devraient se renforcer pour atténuer les détresses et réduire les fractures béantes d’un pacte social martyrisé, c’est tout le contraire qui se produit. N’en déplaise à la droite sarkozyste, le service public n’est pas désincarné. Des hommes et des femmes le font vivre – et un esprit l’habite. Or ces personnes et 
cet esprit sont aujourd’hui atteints, gravement blessés, victimes des avanies quotidiennes. Une catastrophe pour la société tout entière. Dans leur grande masse, ces salariés sont au bout du rouleau, débordés, accaparés 
par les sous-effectifs, tous plus ou moins confrontés aux «privatisations rampantes», à la précarité croissante, aux CDD rémunérés au lance-pierres, à la flexibilité toujours accrue, à la pression de la «rentabilité», avec son lot de dépressions, de tentatives de suicide… Victimes du talon de fer du gouvernement, des financiers, du FMI, de dirigeants serviles et même de la médiacratie ambiante dévouée pour «vendre» aux populations l’inéluctabilité de l’austérité. Les mêmes mots pour tous, «réduction des coûts», «retraites au rabais», «baisse des investissements publics»… Sans s’interroger – ou si peu – sur les origines de la crise, sur les possibilités de croissance et de développements, sur la manière de résorber les déficits dans un temps long, débarrassée des diktats et des soumissions, en mettant au pas les banksters, en réformant la question du crédit, etc.

Entrer en résistance contre ce monde des marchés financiers – qui doivent leur survie aux États ! – est une urgence absolue. Car les vautours, eux, n’arrêtent pas. Les menaces contre la France formulées par l’agence de notation Moody’s, et la panique qui s’en est suivie, témoignent, si cela était encore nécessaire, de l’incroyable perte de maîtrise de nos destins collectifs. Ne cherchez pas les nouveaux maîtres du monde, qui règnent sans partage sur le juteux marché de la notation financière et s’arrogent le droit de mettre la campagne électorale française «sous surveillance» : ils s’appellent Standard 
& Poor’s, Fitch et Moody’s. Ne cherchez pas les vassaux 
de ces colonisateurs invisibles, jamais les derniers 
à s’agenouiller devant les intérêts du privé : ils ont pour noms Sarkozy, Merkel, Zapatero, Cameron, Berlusconi et consorts. «Notre destin se joue dans les dix jours», a déclaré Sarkozy, volontairement alarmiste. Comme en Grèce, les premières cibles des plans d’austérité 
du gouvernement Fillon sont les serviteurs de la fonction publique, puis le peuple dans son ensemble. Il est temps d’arrêter cette folie. Mais ne le cachons pas : face 
à la plus formidable rage de destruction sociale depuis la Libération, ce n’est pas une simple «sortie de crise» qu’il faudra imaginer et encore moins une «alternance» sociale-démocrate mâtinée de compromissions, mais bel et bien un changement de société radical !

[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 20 octobre 2011.]

(A plus tard...)

lundi 17 octobre 2011

Massacre du 17 octobre 1961 : le temps de la reconnaissance !

«Ils jettent les Algériens à la Seine !» Par-delà le temps, ce cri d’horreur retentit encore au cœur d’un Paris humilié à lui-même. «Ils les tuent ! ils les noient !» Une ratonnade en règle, froidement exécutée, lâchement assumée dans les coulisses du pouvoir. Un pogrom en pleine Ville lumière. Et soudain 
la Seine devint rouge sang…
De tous les crimes de la guerre d’Algérie, dont il est impossible d’établir une «échelle» dans l’infamie, le massacre du 17 octobre 1961 est à l’évidence l’un des plus signifiants, l’un des plus honteux, celui dont la France gardera la trace-sans-trace avec, au fond de l’âme, ce spectre du colonialisme et du racisme qui continue de hanter nos consciences. Cette fois, les auxiliaires du colonialisme ne tuaient pas comme d’«habitude», dans les mechtas, ils ne torturaient pas dans les caves sombres d’Alger. Ils assassinaient des centaines d’Algériens directement sur les pavés du peuple parisien... Cette répression policière ne relevait en rien d’une «bavure» ni de la réaction d’une police débordée par l’ampleur d’une manifestation pourtant pacifique, mais résultait d’une véritable «terreur d’État» instaurée par le système de répression postérieure à la Seconde Guerre mondiale que le préfet Maurice Papon, aux mains pleines du sang des juifs, construisit à partir de son arrivée dans la capitale, en 1958. Un crime d’État, perpétré sous la responsabilité du gouvernement de Debré et du général. Une page obscure du gaullisme qui connaîtra un prolongement au métro Charonne, dans la séquence finale de la guerre d’indépendance algérienne.
Il est une constance historique : la République s’abaisse dans la dissimulation et se grandit dans la vérité. N’en déplaise à Nicolas Sarkozy (qui n’aura cette année encore aucun geste, aucun mot), nous n’en finirons pas avec la guerre d’Algérie sans que ses crimes, tous ses crimes, soient une bonne fois pour toutes dévoilés et officiellement condamnés. Plus que jamais, les Français ont aujourd’hui besoin d’une reconnaissance officielle ! Non pour répéter le vague récit 
d’un passé douloureux, mais 
bien pour assumer un acte de mémoire au présent, indispensable pour construire l’à-venir républicain. L’oubli, cette forme
de négationnisme, structure 
les logiques de revanche et participe 
à la production et à la reproduction des discriminations – dont le sarkozysme est directement issu.
[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 17 octobre 2011.]

L'agenda des commémorations du 17 octobre 1961.

(A plus tard...)

samedi 15 octobre 2011

Démocratie(s) : l'altération des repères ruine-t-elle l'émancipation?

Réflexion très contemporaine autour d'un essai vivifiant, La Démocratie anesthésiée, de Bernard Vasseur.

Rêve. Puisque nous croyons aux passerelles non visibles qui atteignent d’autres horizons, puisque nous pensons que les idées peuvent se renouveler à condition de chercher l’air à grandes bouffées comme pour aspirer (encore et encore) le soleil de notre enfance, et puisque, enfin, nous ne cessons d’entamer le déchiffrage de notre propre mystère collectif, relisons avec empathie l’une des citations de Guy Debord: «Partout où règne le spectacle, les seules forces organisées sont celles qui veulent le spectacle. Aucune ne peut donc plus être ennemie de ce qui existe, ni transgresser l’omerta qui concerne tout.» Quand l’agora se transforme en une vulgaire scène pour pitreries globalisées où tout s’égalise et tout se vaut, la démocratie s’y retrouve-t-elle? Osons paraphraser l’auteur de Panégyrique. Dans un monde cul par-dessus tête, le vrai est-il un moment du faux? Et le rêve, oui le rêve, ne devient-il pas souhaitable, indispensable quand la nécessité se trouve socialement… rêvée ?

Essai. Dans la Démocratie anesthésiée (Les Éditions de l’Atelier), le professeur de philosophie et directeur de la maison Elsa-Triolet-Aragon, Bernard Vasseur, prolonge sans détours le questionnement: «Plus de temps de loisirs disponible pour se divertir plus longtemps? Faut-il se satisfaire d’un tel rabaissement consumériste et désenchanté?» Dans cet essai vivifiant où le nouveau visage du politique est sondé et décrypté, analysé et déconstruit, Bernard Vasseur en revient à un préambule grave: «Quel objectif poursuit la démocratie aujourd’hui?» Torpeur, impuissance, inertie, etc., tout nous montre que cette démocratie est bloquée, la prise de parole monopolisée, le pouvoir confisqué. D’où provient ce blocage historique? N’est-il issu «que de la lente anémie de pratiques séculaires d’une démocratie que tout le monde vénère» comme «un étendard glorieux et qu’il suffirait de rajeunir un peu»? Ou est-il «le résultat de l’anesthésie programmée d’une démocratie qui ne fait plus l’affaire en haut lieu», quelque chose «comme l’ébauche d’un nouveau visage du politique se mettant progressivement en place et préparant tranquillement, sans bruit, en douceur, l’entrée dans un âge postdémocratique»? L’expression en choquera plus d’un et tant mieux : «Un despotisme d’un genre nouveau», annonce-t-il. Soft et invisible, insidieux car imperceptible aux yeux du plus grand nombre. Prenant Tocqueville à témoin – un pied de nez –, l’auteur interpelle ses contemporains: «Comment ne pas reconnaître, dans cette “servitude réglée et paisible”, que Tocqueville voyait comme menace possible à l’horizon des nations démocratiques de son temps, l’idéal majeur qui anime les puissants d’aujourd’hui et leurs serviteurs dans l’appareil d’État?»

Émancipation. L’altération des repères positifs de l’éthique a bel et bien des conséquences intellectuelles qui n’épargnent pas la politique. Dans cette société dont on nous assure qu’elle est désormais incapable de s’incarner dans quelque chose qui la dépasse, quelque chose de plus grand, de plus audacieux que ce qu’on lui promet quotidiennement, le goût du jour-le-jour et la fabrique de l’insignifiant-faute-de-mieux semblent s’imposer à tous. Sans discussion? Bernard Vasseur en doute. Il écrit: «Beaucoup ressentent amèrement, au fond d’eux-mêmes, la comédie peu reluisante qu’on entend leur faire jouer. “Les peuples instruits sont ingouvernables”, disait le philosophe Alain, et ils comprennent que c’est pour mieux les “gouverner” et les “assagir” qu’on prétend les borner aux menus plaisirs courts sur pattes du strass et des paillettes, du supermarché et de TF1.» Et il suggère: «Le combat pour l’émancipation humaine a occupé trop de siècles pour ne pas avoir marqué profondément les esprits et s’achever, comme un jour sans lune, dans la souveraineté vendue au peuple à la télévision, afin qu’il aime ce qui le soumet et ferme les yeux sur ce qui l’opprime.»

Priorités. Le réel voudrait nous voir disparaître du champ médiatique miné par le cynisme, l’argent et les notoriétés en plastique bon marché. Choisissons la fulgurance de Scott Fitzgerald: «Il faut savoir que les choses sont sans espoir, mais néanmoins essayer de continuer à les changer.» Choisissons, surtout, la hiérarchie philosophique proposée par Montesquieu: «Si je savais quelque chose qui me fût utile et qui fût préjudiciable à ma famille, je la rejetterais de mon esprit. Si je savais quelque chose utile à ma famille et qui ne le fût pas à ma patrie, je chercherais à l’oublier. Si je savais quelque chose utile à ma patrie, et qui fût préjudiciable à l’Europe, ou bien qui fût utile à l’Europe et préjudiciable au genre humain, je la regarderais comme un crime.» Rien à ajouter ?

[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 14 octobre 2011.]

(A plus tard...)

mardi 11 octobre 2011

Gauche : la course de vitesse...

Alors que le refus de voir l’égalité républicaine à ce point martyrisée ne s'est jamais autant exprimé, le peuple de gauche regarde forcément avec sympathie le score d’Arnaud Montebourg, en tant qu’il ouvre une brèche à l’intérieur du PS.

«Stop à l’austérité. Pour une autre répartition des richesses.» Par ces intitulés, qui à eux seuls recouvrent quelques aspirations fondamentales de notre temps, cinq syndicats ont décidé de mobiliser ce 11 octobre, en privilégiant les actions à l’échelon local. Pas moins de deux cents manifestations annoncées, sans parler des débrayages et autres initiatives au plus près du terrain. Là où les conflits sociaux se multiplient. Là où l’atomisation sociale laboure le cœur vivant de notre pays. Là où le chômage explose,
ruine les familles et pèse sur les consciences… Un goût de vraie rentrée sociale ? Après la mobilisation des enseignants, le 27 septembre, et celle des retraités, le 6 octobre, les responsables de l’intersyndicale (CGT, CFDT, FSU, Unsa et Solidaires) savent où ils mettent les pieds en osant ce test pour le mouvement social, dans un contexte anxiogène d’austérité et de peurs en l’avenir. Jamais depuis des mois ne s’est exprimé aussi massivement le refus de voir l’égalité républicaine à ce point martyrisée, contournée, dévitalisée, réduite aux coups tordus des financiers, à l’esbroufe et aux blandices audio-télévisuelles de la médiacratie politique !

Même la participation élevée au premier tour de la primaire socialiste, quoi qu’on en pense, en montre la profondeur de champ. Comment rester insensible à cette forme d’expression qui témoigne, même imparfaitement, de l’extraordinaire envie de créer les conditions de la défaite de Sarkozy ? Partout nous sentons le ras-le-bol du peuple et cet irascible souhait de s’en mêler, de ne pas laisser les puissants et les appareils politiques s’arranger entre eux pour préparer une petite alternance bien pépère. D’ailleurs, dans sa frénésie d’en découdre face à un Sarkozy affaibli par son bilan historiquement dramatique, le peuple de gauche regarde forcément avec sympathie le score d’Arnaud Montebourg, en tant qu’il ouvre une brèche à l’intérieur du PS. Mettre au pas les marchés financiers, interdire les licenciements boursiers ou encore transformer radicalement l’Europe (encore un effort !) ne sont-elles pas quelques idées de rupture incontournables pour la gauche d’ici-et-maintenant ? Montebourg lui-même le reconnaît : sans la pression du mouvement social et des citoyens révoltés, ces idées n’auraient pas émergé à ce point dans le débat interne au PS et nous n’aurions sans doute pas entendu parlé de nationalisation des banques ou de création d’emplois à l’éducation nationale... Et maintenant ? Montebourg déclarait la semaine dernière : «Le PS c’est les postes et les carrières. Pas moi.» Inutile de dire que son attitude va être observée à la loupe…

Car nous n’attendons pas monts et merveilles du futur candidat socialiste. Ce que nous savons, par contre, c’est que toutes les aspirations à un véritable changement ouvrent un espace inédit pour le Front de gauche, seul capable d’incarner un espoir global, en bousculant vraiment l’hégémonie du PS et pas seulement à la marge. Et surtout pour en finir avec l’éternel recommencement : une petite espérance suivie d’une grande déception… Ayons de la mémoire. Méfions-nous des périodes de crise pouvant déboucher sur un piège démocratique. Les classes populaires ont parfois toutes les raisons de se détourner d’une gauche dont elles ont le sentiment qu’elle les a trahies. La pire des situations ne serait-elle pas de croire que la gauche peut gagner sans volonté de rupture avec la finance et l’Europe libérale ? L’émergence d’une alternative vraiment de gauche est la condition absolue d’une victoire massive contre la droite dans six mois. Une course de vitesse est engagée.

[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 11 octobre 2011.]

(A plus tard...)

lundi 10 octobre 2011

Leçon(s) : quelques souvenirs politiques pour l'Histoire...

Nicoléon a-t-il déjà perdu ? Hollande a-t-il déjà gagné ? Et si l'on réfléchissait un peu...

Vanité. «C’est en allant vers la mer que le fleuve reste fidèle à sa source.» Jamais sans doute la phrase de Jaurès ne nous a autant hantés, nous qui, obstinément, avec (soi-disant) la foi des «vaincus de l’histoire», refusons de croire qu’il est trop tard désormais pour reprendre à sa source le fleuve d’un Devenir qui s’est assez mal épandu. Non, les navires de tous les continents ne sont pas condamnés à l’acculturation et à l’apolitisme – le rêve des puissants. Non, le temps de l’esprit comme forme collective d’initiation personnelle n’est pas révolu. Non, nous ne voyons pas à l’horizon que l’éclipse de la fin de l’histoire s’effaçant devant le cycle de l’économie dirigée par les seuls voyoucrates du «réalisme économique», avec leur vanité, leur rapacité, leur totale amoralité. Non, le climat franco-français actuel, qui donne la nausée, ne nous détournera pas de la passion de l’engagement public et du bien commun… Et puisque les «non» s’enchaînent un peu trop vite sous notre plume, ajoutons-en un : non, hélas, nous ne pensons pas à ce stade que Nicoléon a d’ores et déjà perdu les échéances électorales de 2012, comme une mécanique préréglée…

Affaires. «Pour la droite, les carottes sont cuites.» Vous aussi, vous entendez beaucoup ce genre de phrases autour de vous, ces temps-ci, comme un fait acquis, une évidence ? Arrêtons-nous un instant sur ce présupposé qui témoigne, une fois encore, d’une certaine méconnaissance de la singularité des scrutins qui vont arriver, à commencer par cette satanée présidentielle. D'accord, Nicoléon et ses affidés apparaissent à bout de souffle et le Palais, prochainement transformé en nursery pour le nouveau plan de com, ressemble pour l’heure à un théâtre en carton-pâte si poreux qu’on se demande s’il résistera au vent des «affaires» en tout genre et aux portes qui claquent. Depuis les années quatre-vingt, le prince-président a toujours réussi à échapper à la suspicion du poison des coups tordus, des valises, de la corruption active ou passive. Mais depuis, des amis intimes pointent chez le juge et même la mère Bettencourt, prudente comme une privilégiée, reconnaissait l’autre jour à la télévision qu’elle avait bien financé Nicoléon… quand il était jeune ! C’est connu, les vieux se rappellent mieux de faits anciens que récents. Autant se le dire, le dossier «Karachi» menace potentiellement de faire vaciller nos institutions. La République, notre République, souffre. Abîmée durant des années, elle n’en finit pas de labourer le désastre des libéro-néoconservateurs, installés par les milliardaires et la médiacratie. Les Français n’en peuvent plus ? Sans doute. Supporteront-ils de moins en moins aisément l’accablant spectacle d’un pouvoir corrompu par le fric ? Bien sûr. Croient-ils pour autant à un «tous pourris» ? Pas certain. Car contrairement à ce que peut penser la classe dominante, il est temps que 
les «affaires», toutes les «affaires», soient mises au jour, dans leur stricte réalité. Seule l’omerta alimente le «tous pourris» de la fille Le Pen, qui détesterait, et pour cause, l’idée d’une République irréprochable – celle-ci n’alimenterait plus 
son fonds de commerce et ses caniveaux… Voilà d’ailleurs 
l’une des responsabilités de la gauche : lever tous les freins actuels – institutionnels, secret-défense et autres… – pour que 
la justice puisse travailler en sérénité. Et ainsi démontrer que
le «tous pourris» n’a aucun sens.

Balladurisation. «Hollande ? Il a déjà gagné.» Se fondant sur les faiseurs de rois, à savoir les sondeurs médiacratiques, il y aurait donc un «désir Hollande» presque aussi puissant que ce désir de changement que nous sentons poindre partout en France. L’homme plus que le candidat ? La normalité plus que l’exceptionnalité ? Sans jamais se demander de quelle gauche il conviendrait de parler. Et sans même se soucier de savoir si les enfants de Delors et de Jospin sont, quels qu’ils soient, à la hauteur de l’enjeu… Parce qu’il semble le plus capable d’affronter Nicoléon, l’ex-premier secrétaire du PS est déclaré vainqueur par avance, pour ne pas dire par K.-O. Mais attention aux fantasmes. Une strauss-kahnisation peut très vite se terminer en balladurisation. Ayons la mémoire des expériences médiatiques passées. 1988 ? Le «coup» Raymond Barre ne fut qu’un feu de paille. 1995 ? Édouard Balladur, annoncé vainqueur dès le premier tour, ne le passa pas. 1997 ? La gauche s’empara de l’Assemblée nationale. 2002 ? Sans commentaire. 2005 ? Victoire triomphale du «non», contre tous les pronostics. 2007 ? En tête des intentions de vote durant tout l’hiver, on sait pourtant ce qu’il advint de Ségolène Royal… Nous ne sommes qu’en octobre. Et d’ici quelques mois, bien des événements auront perturbé les belles prédictions de salon. Comment oublier si vite les leçons de l’histoire ?

[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 7 octobre 2011.]

(A plus tard...)

jeudi 6 octobre 2011

Retraités : épreuve de réalité...

Les drames sociaux d’une société inégalitaire transforment l’espérance de vie en handicap…

L’épreuve de réalité est toujours l’épreuve du feu. Au cœur de cette République aux haleines fétides 
ces temps-ci, où tant de porteurs de fric et autres banksters continuent de parader dans l’espace public, le creuset de la crise sociale, lui, s’enfonce un peu plus chaque jour dans les entrailles d’un pays martelé par l’injustice. L’emploi, les salaires, le progrès social : voilà les vraies victimes quotidiennes. Victimes des marchés financiers en pleine apoplexie. Victimes des ponctions de l’austérité généralisée. Victimes de dirigeants politiques au doigt sur la couture de leur pantalon, incapables de résister au diktat de la finance, humiliés par leur propre perte de pouvoir…

Parmi ces victimes, les retraités, pour lesquels «l’insupportable est atteint». Ainsi ont-ils décidé 
de descendre dans la rue, aujourd’hui, à l’appel de
cinq unions syndicales. Ils dénonceront la perte 
de pouvoir d’achat et les menaces du «plan Fillon» annoncé il y a quelques semaines, mais également le report de la réflexion sur la dépendance – l’une des nombreuses promesses de l’Élysée mort-nées. Dans ce monde de l’excès 
marchand et de l’insécurité sociale à tous les étages, les retraités n’en peuvent plus. Une statistique résume à elle seule 
la situation : une personne née en 1935 touchait plus de 80% de son dernier salaire en partant en retraite ; une personne née en 1985 n’en touchera qu’à peine 60%… Mesure-t-on l’ampleur de cette régression générationnelle, de ce recul de civilisation ? Comment penser l’à-venir dans un univers quotidien frappé 
par une insertion professionnelle tardive, par le chômage de masse, par la précarité et l’intérim, bref, par les drames sociaux d’une société inégalitaire et sans accalmie qui transforment l’espérance de vie en handicap ?

Le loyer, le chauffage, les carburants, la TVA, l’alimentation, le toubib, le dentiste, sans parler 
de la future hausse des mutuelles, elles aussi honteusement mises à contribution par la «taxe Fillon» : tout devient 
un luxe. Et les pensions des retraités crient famine. 
Plus d’un million de nos «seniors» vivent sous le seuil de pauvreté, évalué à 900 euros mensuels… De contre-réforme en contre-réforme, des misérables revalorisations aux dispositions régressives qui découlent du plan d’austérité, les retraités se sont appauvris à une vitesse phénoménale. Rappelons que les profits des entreprises cotées en Bourse pourraient atteindre les 95 milliards d’euros cette année…

Dans ce contexte, comment qualifier la dernière 
proposition de François Fillon de porter l’âge légal 
du départ à la retraite à soixante-sept ans ? Le premier ministre prend prétexte de «l’alignement sur l’Allemagne», omettant de préciser que le départ à taux plein, outre-Rhin, peut être réclamé au bout de trente-cinq ans, contre quarante et un ans et demi désormais en France. Un nouvel acte de soumission aux spéculateurs, qui attendent avidement l’étape supplémentaire : la retraite par points ! Le bras d’honneur de Sarkozy 
aux salariés, il y a moins d’un an, lors du vote de la loi Woerth, n’a donc pas suffi. Le prince-président, champion de la réaction antisociale, continue de servir avidement les seuls intérêts du capital, comme si de rien n’était. Mais qu’il se méfie. Personne n’a oublié les grandes grèves et manifestations. Ni le traumatisme du coup de force. Est-ce un hasard si 69% des Français soutiennent les mobilisations du 11 octobre prochain «pour une autre répartition des richesses»? Le retour 
de l’épreuve de réalité. Et pourquoi pas ?

[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 6 octobre 2011.]

(A plus tard...)